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nous reçut ; cette ville deviendra florissante, grâce à sa position sur le Colorado, qui est très souvent navigable de ce point jusqu’à la mer. Nous n’avions plus que trente-deux milles à parcourir jusqu’à Lavacca, et comme dans cet intervalle il n’y a pas de pâturage, nous laissâmes nos chevaux à Victoria avec l’intention de les reprendre au retour. Nous louâmes à un Français une petite voiture, et je fus frappé sur la route de Lavacca des ondulations singulières de la plaine. On eût dit une véritable mer de sable ; les plis du terrain figuraient à s’y tromper les petites vagues du flux et du reflux, longues, molles et égales. Je jurerais que le golfe du Mexique s’avançait autrefois jusque-là, et que les flots ont été d’un coup de baguette changés en flots de sable, si je n’avais rencontré plus tard le même phénomène sur les bords du Rio-Grande, à cent cinquante lieues de la mer. Lavacca n’a qu’un hôtel et quelques maisons en planches, assises sur le sable de la plage. C’est là que débarquent les familles allemandes qui viennent coloniser le Texas ; on les y jetait autrefois sans leur donner ni abri, ni provisions, ni moyens de transport ; quelques-unes sont mortes à Lavacca de faim, de misère et de chaleur.

Nous nous embarquâmes, et deux jours après nous étions à Galveston, d’où un bateau à vapeur nous transportait à la Nouvelle-Orléans. La grande cité du sud était en proie à trois fléaux : le choléra, la fièvre jaune, l’inondation. Le Mississipi avait rompu sa digue au-dessus du faubourg Lafayette et coulait dans les rues. Presque partout on allait de l’un chez l’autre en bateau, ce qui devait rendre plus longues et plus difficiles les visites que j’avais à faire pour ma quête. Par surcroît, le commerce allait fort mal. L’archevêque, en m’accordant la permission de quêter, me dit : « Si vous pouvez obtenir vingt-cinq piastres, vous ferez bien de vous en servir pour retourner au Texas ; » mais je n’étais pas venu de si loin pour me décourager si vite, et, plein de confiance en Dieu, je commençai. Dès le premier jour, je reçus dix piastres d’un Irlandais catholique ; pendant les jours suivans, je recueillis encore dix piastres. Un tailleur juif, à qui j’avais commandé un pantalon, me fit causer de ma mission tout en prenant ma mesure. Après une conversation d’une demi-heure, il me fit cadeau d’un habillement complet pour moi et de cinq piastres pour ma future église, trait de générosité qui a laissé dans mon cœur une profonde reconnaissance. Je ne pus cependant avancer beaucoup mon œuvre, parce que l’archevêché m’employa au service des cholériques.

À la première occasion, je me rendis dans les bourgades qui bordent le Mississipi, comptant plus sur les riches planteurs que sur les négocians de la ville. À Donaldsonville, le curé se chargea de ma collecte, et il réunit en quelques jours une petite somme à laquelle il ajouta des ornemens d’église. Thibaudeauville est moins une ville