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qu’un jardin, tant les catalpas, les magnolias, les platanes, les pins couvrent et cachent les maisons. Le curé, jeune Français, construisait une belle et vaste église, et, plus heureux que nous, qui ne savions pas encore si nous pourrions commencer, il l’avait presque achevée. Quoique tout son argent fût absorbé par cette grande entreprise, il me fit quelques cadeaux précieux. Une dame juive qui venait d’acheter une robe de soie pour le bal, ayant entendu parler de notre pauvre mission, me l’apporta pour que j’en fisse des ornemens sacerdotaux ; j’en tirai deux belles chasubles. Décidément les Juifs égalaient les catholiques en générosité.

Natchez est bâtie sur un plateau élevé ; à ses pieds, elle regarde les sinuosités majestueuses du Mississipi, et sa vue s’étend sur les immenses et monotones forêts de la Louisiane. Les maisons sont en brique et ont l’air triste. Le plus beau monument est l’église catholique, qui a déjà, quoique toute récente, éprouvé des fortunes diverses. Sur la garantie des souscriptions signées par les plus riches habitans, qui voyaient dans l’édifice un embellissement de la ville, elle s’éleva rapidement ; mais les souscripteurs ne payèrent qu’en partie, et il fallut pour l’extinction des dettes la vendre aux enchères. Heureusement le père Raho, vicaire-général, parcourut en quêteur la Louisiane et le Mexique : il n’eut pas de peine à se procurer ainsi l’argent nécessaire au rachat de l’église, qui fut rendue à la religion catholique. Cet exemple était bien propre à m’encourager. Je visitai quelques bonnes familles catholiques, et j’en tirai quelque chose ; Dans une de mes tournées aux environs, je vis campé dans un bois un petit reste de la fameuse tribu des Natchez. Rien n’est plus misérable, rien n’est moins intéressant ; aucune trace de leur gloire passée, si tant est qu’ils aient une autre gloire que celle d’avoir été chantés par M. de Chateaubriand. Quand je partis, le père Raho, fort pauvre lui-même, emprunta de l’argent pour m’acheter des chemises et des souliers ; je commençais à n’en plus avoir.

C’est à Bâton-Rouge que la législature de la Louisiane tient ses séances dans un immense palais gothique de fer, de marbre et de granit. Là aussi se trouve une de ces pénitenceries dont Mme la comtesse Merlin a longuement parlé dans ses Lettres sur La Havane. Le curé me reçut de la façon la plus cordiale : c’était un Français très savant en histoire naturelle et possesseur de belles collections d’animaux et de plantes ; sa science était souvent utile aux habitans. Pendant mon séjour, le feu prit tout à coup en plein champ sur une surface de quelques mètres ; on crut que c’était le signe avant-coureur d’une éruption volcanique, on courut chez le curé lui demander une explication. Il se fit apporter une pelletée de cette terre enflammée, et reconnut la présence de beaucoup d’ammoniaque et de phosphore ; il attribua le phénomène au voisinage d’un cimetière et d’une