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Esprit sagace et investigateur, n’a-t-il pas contribué, par ses écrits, par ses études, par son action personnelle et directe sur quelques écrivains, à l’enfantement d’une science nouvelle qui chaque jour prend une place plus grande dans les études et dans les affaires ? Ce sont là les questions que nous ont suggérées les jugemens contradictoires portés sur Hume ; mais il nous a semblé que la façon la plus intéressante et peut-être la plus sûre de les résoudre était moins d’étudier des écrits qui sont depuis longtemps entre les mains de tout le monde, et sur lesquels tout a été dit, que d’interroger la vie intime de Hume et l’histoire de son esprit, en assistant pour ainsi dire à la formation de ses idées et au travail de sa pensée. Des publications encore récentes, qui ont mis au jour une partie des papiers de famille de Hume et tout ce qu’on a retrouvé de sa correspondance, nous ont paru fournir les élémens nécessaires pour entreprendre une semblable tâche.


I.

David Hume naquit à Édimbourg en 1711. Il était le plus jeune enfant d’un laird écossais, médiocrement partagé des biens de la fortune, mais qui tenait à une des grandes familles du pays. Il devint orphelin avant d’avoir terminé son éducation. Fils cadet, la part qu’il pouvait revendiquer dans l’héritage paternel était loin de lui assurer une existence indépendante. Ses tuteurs voulurent le diriger vers le barreau, où il eût trouvé des protecteurs naturels en son grand-père maternel et en son grand-oncle, qui siégeaient tous les deux dans la première cour de judicature de l’Écosse. Le jeune Hume ne témoigna aucun goût pour l’étude des lois. On le plaça alors dans une des grandes maisons de Bristol, mais le commerce ne parut pas lui convenir davantage. Arrivé à vingt ans, il voulut disposer lui-même de son sort, et réclama sa légitime. Comme elle ne pouvait lui suffire pour subsister en Écosse, il passa en France, où la vie était moins chère, et se rendit à Reims, alors célèbre par son université et les ressources qu’elle offrait aux savans. Les jésuites y avaient un grand collège, et ce fut par les révérends pères que Hume entendit parler de leur établissement de La Flèche, de la riche bibliothèque qu’ils y avaient formée, de la beauté et des agrémens du pays. Il échangea aussitôt le séjour encore trop bruyant et trop coûteux de Reims contre La Flèche, où il passa plusieurs années dans la solitude et le travail.

Si Hume avait successivement abandonné l’étude des lois et celle du commerce, il ne faut chercher le secret de sa conduite ni dans cet orgueil ridicule des lettrés, qui, méconnaissant l’utilité des occupations sérieuses et leur action féconde sur l’esprit, affectent