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terre, pour lancer dans le public un livre tel que le Traite de la nature humaine. Cette publication lui demanda deux années ; commencée en 1737, elle ne fut terminée qu’à la fin de 1739, ou même au commencement de 1740. Hume a dit, dans les courts mémoires qu’il a laissés sur sa vie, que son livre mourut en naissant. Il y a là de sa part excès de modestie ou peut-être excès d’orgueil. Le Traité de la nature humaine n’obtint pas sans doute le succès qui accueillit à leur naissance d’autres ouvrages moins importans de Hume ; mais il était la première œuvre d’un auteur complètement étranger au monde des lettres, et qui n’appartenait même à aucun des corps savans. Venu d’Oxford ou de Cambridge, le livre de Hume eût fait beaucoup plus de bruit, ne fût-ce qu’en attirant sur l’auteur les censures ecclésiastiques. Tombé d’une plume inconnue, il n’attira l’attention que du petit nombre des esprits curieux que préoccupent les questions philosophiques. Les luttes politiques passionnaient à ce moment tous les esprits, et la guerre avec l’étranger allait se compliquer d’une guerre civile. Néanmoins le livre de Hume fut lu et devint même l’objet de réfutations. Il pénétra jusque dans un paisible presbytère d’Écosse, et Reid a raconté comment la lecture qu’il en fit lui ôta tout repos d’esprit et ébranla profondément la foi implicite qu’il avait ajoutée jusque-là au système de Locke. Le Traité de la nature humaine n’eût-il à ce moment trouvé d’autre lecteur que l’humble ministre de New-Machar, c’en était assez pour la gloire de Hume. Ce sera en effet l’honneur de son nom d’avoir mis dans tout leur jour les conséquences funestes de la philosophie de Locke et d’avoir ainsi provoqué les immortels travaux de Reid et de Kant.

Après la publication de son livre, Hume se rendit en Écosse auprès de son frère aîné, qui habitait les terres patrimoniales de la famille, et menait à Ninewells la vie de gentilhomme campagnard ; la mère et les sœurs de Hume y résidaient également. Le jeune philosophe passa au milieu des siens plusieurs années, qu’il consacra entièrement à l’étude ; il s’occupait à revoir son premier ouvrage et à en préparer un second. Les premiers Essais moraux et politiques parurent à Édimbourg en 1741 en un petit volume in-12 qui comprenait les essais sur la Liberté de la Presse, sur les Partis en Angleterre, sur l’Indépendance du Parlement, et, — sous les titres suivans, l’Épicurien, le Stoïcien, le Sceptique, le Platonicien, — l’exposé plutôt que l’appréciation de quatre des grands systèmes philosophiques de l’antiquité. Cet ouvrage, qui est un des meilleurs de Hume, fut favorablement accueilli, et dès l’année suivante l’auteur dut en donner une seconde édition, à laquelle il ajouta quelques morceaux. Il ne faut chercher ni dans ce livre ni dans aucun des écrits postérieurs un seul développement nouveau de la philosophie de Hume. Non--