Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement la doctrine de celui-ci est tout entière dans le Traité de la nature humaine, mais elle s’y trouve dans tout l’enchaînement de ses preuves et de ses conclusions et sous)a forme la plus complète et la plus précise qu’il ait pu lui donner. Arrivé du premier coup à la destruction de toute certitude, au scepticisme absolu, Hume ne pouvait plus faire un seul pas qui ne fût un pas en arrière. Il ne lui restait plus qu’à douter de son propre système. Et de fait Hume était un logicien trop rigoureux pour ne pas apercevoir les conséquences extrêmes de sa doctrine, à savoir qu’il ne pourrait pas se prouver à lui-même son propre scepticisme.

L’impossibilité pour la raison humaine de trouver un point de départ incontestable et par conséquent d’arriver à la certitude, voilà la conclusion dernière à laquelle Hume dut s’arrêter. Une telle conviction amène naturellement à sa suite une grande indifférence pour toute espèce de discussion, sinon pour tout effort de l’esprit, et elle explique merveilleusement un trait du caractère de Hume qui était en contradiction avec sa passion excessive pour la renommée littéraire : nous voulons parler de son insurmontable aversion pour toute polémique. Il accueillait avec une extrême obligeance les réfutations sérieuses que l’on tentait de ses opinions, et sa correspondance avec ses deux plus vaillans contradicteurs, Reid et Campbell, est un modèle de dignité et de courtoisie; mais il refusa toujours de s’engager en des discussions qui ne pouvaient être à ses yeux que des luttes stériles. Ses ennemis eurent beau le harceler, lui porter des défis solennels, l’attaquer par ses endroits les plus sensibles : il se renferma dans un silence obstiné. Une seule fois il fut presque tenté de répondre à Warburton; mais, en y réfléchissant, il trouva que l’irascible prélat avait ébranlé un si petit coin de son édifice, que la solidité du reste n’en était point compromise. La seule vengeance que Hume tira jamais des torrens d’injures que Warburton, Hard et toute une nuée de ministres anglicans et méthodistes imprimèrent contre lui, ce fut un souhait sarcastique : « Que les ecclésiastiques voulussent bien s’en tenir à leur vieille occupation de se houspiller les uns les autres, et laisser les philosophes discuter avec calme, modération et politesse. » Si Hume abandonnait ses ouvrages à leur sort et s’abstenait de les défendre contre la critique, le même principe lui faisait refuser toute discussion orale. Il avait pour amis tous les membres éminens du clergé écossais, et la tentation était grande pour ceux-ci de ramener à la foi un homme qu’ils estimaient singulièrement. Plusieurs y succombèrent, et Blair plus souvent que les autres. Hume, qui vingt fois avait pesé les raisons pour et contre et ne croyait ignorer aucun des argumens de Blair, fut obligé d’interdire à son ami ce sujet de conversation. En lui écrivant au sujet d’un sermon du docteur Campbell sur les miracles, il lui glissa cette