Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses jugemens sur l’époque des Stuarts, et que le temps avait assoupies. Propriétaire d’une maison comfortable, ayant équipage, recherché par tout ce qu’il y avait de considérable en Écosse, ayant assez de crédit à Londres dans le monde littéraire et même dans le monde politique pour être utile à ses amis, il ne pensait plus qu’à jouir de cet otium cum dignitate qui convenait si bien à ses habitudes placides et à ses goûts tranquilles. Sa principale préoccupation semblait devoir être l’éducation de ses neveux, qu’il aimait beaucoup, et qui partageaient son temps avec la réunion du club de la Pincette, ainsi qu’il appelait plaisamment le petit cercle d’amis au milieu desquels s’écoulait sa vie.

C’est à ce moment qu’il reçut du marquis de Hertford la lettre la moins attendue. Le traité de Paris venait de rétablir la paix entre la France et l’Angleterre, et le marquis avait été envoyé, avec le titre d’ambassadeur, pour renouer les relations diplomatiques avec la cour de Versailles. Il proposa à Hume de l’accompagner en France pour remplir auprès de lui les fonctions de secrétaire d’ambassade, promettant de lui en faire obtenir prochainement le titre. Le marquis n’avait jamais vu Hume, il ne le connaissait que de réputation, et, ce qui rendait son offre plus singulière, lui-même passait pour un homme de principes rigides, pour un anglican zélé, très attaché aux principes et aux pratiques de sa religion. Une lettre d’Horace Walpole constate l’étonnement général causé par la résolution du marquis. Gilbert Elliot dit plaisamment à Hume que le choix fait de lui par un homme d’une piété aussi notoire le rendait désormais blanc comme neige, et qu’on pourrait le faire archevêque de Cantorbéry sans soulever la moindre objection. Hume répondit d’abord au marquis par un refus : le commerce des grands avait peu d’attrait pour lui, et il redoutait pour une personne de son âge et de son caractère la vie mondaine et les agrémens de Paris; mais tous ses amis lui répétèrent qu’il avait tort de laisser échapper une si belle et si honorable occasion d’arriver à la fortune, et on lui fit tant d’éloges du marquis et de sa famille, que Hume céda quand lord Hertford renouvela sa proposition. «J’ai beaucoup hésité, écrivit-il à Adam Smith : quoique l’offre fût des plus séduisantes, il me semblait ridicule, à mon âge, de commencer une nouvelle carrière et de me poser comme un aspirant à la fortune; mais j’ai réfléchi que j’avais en quelque sorte abjuré toute occupation littéraire, que j’avais résolu de consacrer uniquement le reste de ma vie à me divertir, que je ne pouvais imaginer de passe-temps plus agréable que le voyage qui m’était proposé, surtout avec un homme du caractère de lord Hertford, et qu’il serait aisé d’ôter à mon acceptation tout air de dépendance. Pour ces raisons, et sur le conseil de tous les amis que j’ai consultés, j’ai fini par accepter les offres. du marquis. »