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Aux raisons que Hume énumère et qui pesèrent sur sa résolution, nous croyons qu’on peut ajouter, sans lui faire tort, la certitude d’un bon accueil dans la capitale des lettres et le désir de juger par lui-même de sa réputation sur le continent. Peu de Français de distinction visitaient l’Angleterre sans chercher à entrer en relation avec l’auteur des Essais ; de grandes dames, comme la comtesse de Boufflers, s’étaient mises de vive force au nombre des correspondantes de Hume, et il recevait continuellement de France des lettres remplies des témoignages de la plus vive admiration. Son ami d’enfance, André Stuart, qui vivait à Paris, écrivait en décembre 1762 à un ami commun, sir William Johnstone : « Quand vous aurez occasion de voir David Hume, dites-lui qu’il est en si grande vénération ici, qu’il faut qu’il soit à l’abri de toutes les passions pour ne pas prendre immédiatement la poste et ne pas venir à Paris. Dans presque toutes les maisons que je fréquente, une des premières questions qu’on me fasse est celle-ci : Connaissez-vous M. Hume que nous admirons tant ? Je dînais hier chez Helvétius, où ce même M. Hume fit les frais de la conversation. » On peut croire sans calomnier Hume ni sa philosophie que l’idée de savourer en personne cet encens qui ne lui arrivait qu’indirectement et de se trouver en contact avec ce que la France comptait d’éminent dans la politique et dans les lettres exerça une grande séduction sur son esprit. Cependant, malgré la perspective d’un brillant accueil, malgré l’amabilité et l’exquise bonté de lord et de lady Hertford, malgré les avantages pécuniaires attachés à ses fonctions, ce n’était pas sans quelque tristesse que le philosophe pensait à sa maison d’Edimbourg, à ses livres et à ses amis. « Vous dirai-je la vérité ? écrivait-il à Adam Smith. Au moment de partir, je regrette la perte de ma tranquillité, de mes loisirs, de ma retraite et de mon indépendance, et ce n’est pas sans un soupir que je regarde derrière moi, ni que je jette les yeux en avant. »

Mais tous les regrets de Hume s’évanouirent devant l’ovation qu’il reçut en France. Depuis dix ans, les écrits de Hume étaient un arsenal où les philosophes puisaient des argumens pour battre en brèche le catholicisme et le pouvoir absolu, et ce qu’on n’eût osé dire sous son nom, on le faisait passer sous le nom du philosophe écossais. De plus, l’économie politique était devenue la science à la mode depuis que tout le monde s’occupait du bonheur du peuple, et rien n’avait été publié en aucune langue de plus neuf, de plus clair, de plus facile à saisir pour toutes les intelligences, que les Essais de Hume. Ce petit livre si court et d’une lecture si agréable suffisait à mettre les gens du monde au courant des questions pour lesquelles il était du bel air de se passionner ; aussi était-il dans toutes les mains. Ajoutez à cela que la société parisienne, qui a toujours besoin