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logique puissante, qui n’ont servi que la cause du doute; mais il n’est pas donné à tout homme d’arriver à la vérité : tout ce qu’on peut demander, c’est qu’il la cherche avec bonne foi. Hume a fait plus que de chercher la vérité avec bonne foi, il l’a cherchée avec passion et de toutes les forces de son esprit. Il a été toute sa vie un homme sincèrement et profondément convaincu, et s’il s’est arrêté au seuil de la foi, c’est qu’une voix irrésistible lui criait qu’il ne pouvait aller plus loin sans tromper et lui-même et les autres. C’est la sincérité des opinions de Hume qui a fait que tant de membres du clergé protestant, tant de pieux et fervens chrétiens, en regrettant de le voir demeurer dans l’erreur, n’ont accusé la perversité ni de son esprit ni de son cœur et ont aimé et respecté l’homme en déplorant l’aveuglement du philosophe. Les travaux de Hume d’ailleurs n’ont point été inutiles au triomphe de la vérité : les erreurs qu’il a terrassées ne se sont point relevées des coups qu’il leur a portés, et en faisant voir à quelles attaques étaient exposés les principes en apparence les plus incontestables, il a fait connaître le péril et attiré dans la lice de nouveaux défenseurs qui ont fermé les brèches par où ce redoutable athlète avait passé.

Nous croyons avoir suffisamment indiqué ce qui manquait à Hume pour être un esprit du premier ordre. On ne peut le mettre au nombre de ces hommes privilégiés qui ont marqué leur passage par quelque grande découverte ou par l’établissement d’une vérité nouvelle, et dont les noms sont autant de dates dans l’histoire de l’humanité. En philosophie. Hume a été et il demeure un critique incomparable : il a déblayé le terrain où Reid et Kant ont semé. Comme historien, il ne vit plus que par le mérite du style, le mérite, il est vrai, le plus durable de tous. C’est peut-être comme économiste que sa gloire est la plus entière et a chance de grandir. En effet presqu’un siècle s’est écoulé depuis que Hume déposait la plume et renonçait à écrire; de longues et savantes discussions ont divisé les esprits les plus laborieux et les plus sagaces, des livres sans nombre ont été publiés sur toutes les branches de l’économie politique : il n’est cependant aucune vérité admise de nos jours dans la science qui ne se rencontre dans les écrits ou la correspondance de Hume, en sorte que ce grand esprit se trouve encore aujourd’hui avoir dit, avant tous ses disciples, le dernier mot de chaque question. Notre civilisation, si éprise du bien-être matériel, si tristement dédaigneuse des jouissances de l’esprit, pourra donc oublier le métaphysicien et l’historien : elle gardera forcément un souvenir reconnaissant au père de l’économie politique.


CUCHEVAL-CLARIGNY.