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LA POKRITKA





Il n’est pas de ville russe qui n’ait son gostinoï-dvor, sa cour des hôtes, si l’on veut traduire littéralement ces deux mots, qui en réalité désignent une sorte de bazar[1]. Imaginez un bâtiment carré dont les galeries massives, à voûtes en arcades, encadrent un espace ouvert destiné à recevoir les ballots de marchandises envoyés aux débitans. Sous les galeries voûtées sont les boutiques, et l’on peut, en s’y promenant à l’abri de la pluie ou de la neige, étudier tout à l’aise les mœurs de ces marchands barbus, de ces sidéletz, qui forment une classe si intéressante de la nation russe. Devant chaque boutique, un gros chat, ordinairement de race sibérienne, cligne ses yeux verts et se prélasse avec coquetterie dans sa belle fourrure, d’un gris argenté. De beaux jeunes gens, à la figure ouverte et intelligente, sont à l’affût des promeneurs, qu’ils poursuivent chapeau bas, en vantant à tue-tête leurs marchandises et en offrant de les céder à vil prix. Le plus souvent toutefois le soin d’attirer les acheteurs est laissé à des enfans, qui font ainsi leur apprentissage commercial, et ils sont charmans en vérité, ces petits espiègles aux yeux caressans et au malin sourire. Vers midi surtout, le gostinoï-dvor présente un spectacle singulièrement animé. C’est le moment où les colporteurs de vivres viennent y faire leur ronde quotidienne. Comme leurs confrères de Constantinople, ils portent de larges plateaux at-

  1. C’est à tort qu’on attribue aux gostinoï-dvor une origine mongole. Le terme d’hôtes ou de visiteurs s’appliquait, dans l’ancienne Russie, aux marchands étrangers domiciliés ou de passage. Les Mongols étaient trop essentiellement nomades pour être commerçans, et l’époque de la fondation des gostinoï-dvor doit coïncider avec le développement du commerce de Novgorod.