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la triste excuse de l’utilité. Les temps étaient passés où l’on avait pu être injuste et superbe impunément; il fallait désormais compter avec tous les ennemis qu’on s’était faits et payer le prix de chacune de ses fautes. La révocation de l’édit de Nantes, envisagée par les conseillers de Louis XIV comme une sorte de complément de l’unité administrative du royaume, avait été prononcée dans la pleine confiance qu’il suffirait au roi d’interdire l’exercice des cultes différens du sien pour se voir ponctuellement obéi en cette matière comme en toute autre : aussi l’édit de 1685 avait-il suscité des périls d’autant plus graves, qu’ils n’avaient pas même été soupçonnés. Cette mesure, prise sans prévoyance comme sans motif, avait tout à coup jeté une perturbation profonde dans l’administration du royaume et couvert l’Allemagne et l’Angleterre d’hommes exaspérés, qui ne tardèrent pas à imprimer le caractère d’une guerre religieuse à celle que poursuivaient alors les cabinets pour résister à la suprématie française.

Porté au trône de la Grande-Bretagne par une révolution qui fut une sorte de réponse à l’édit de 1685, Guillaume d’Orange devint, de 1688 au dernier jour de sa vie, l’inspirateur et le chef d’une coalition qui n’avait échoué durant vingt-cinq ans que parce que l’Angleterre n’y avait pas pris ou gardé sa place. Ce prince, dévoré de haine autant que d’ambition, dut donc surtout à la déplorable mesure prise par Louis XIV le grand rôle qu’il avait vainement recherché depuis sa jeunesse, de tentative en tentative et de défaite en défaite. L’Angleterre exaltée par l’esprit de faction, les puissances du Nord, la Hollande et une moitié de l’Allemagne échauffées ou par les passions protestantes ou par le ressentiment de leurs propres injures, l’Autriche enfin délivrée des Turcs et respirant plus librement du côté de la Hongrie, telles furent les forces dont la main de Louis XIV avait elle-même assemblé le faisceau, et qui ne tardèrent pas à mettre la France à une épreuve sous laquelle elle fut bien près de succomber.

Lorsque les résultats nécessaires de sa politique se furent nettement dessinés, ce prince n’hésita point, il est vrai, à répudier des projets dont il pénétrait alors le danger et la vanité; mais cette transformation dans les idées du monarque, qui fut assurément très sincère, avait le tort d’être tardive, malheur irréparable en politique. Aussi la modération de Louis XIV à Ryswick et dans toutes les phases de la guerre de la succession d’Espagne ne désarma-t-elle aucun ressentiment et n’empêcha-t-elle pas des cours trop longtemps humiliées d’appliquer à leur tour avec une rigueur impitoyable les maximes de droit public proclamées par la France pour rompre, selon le cours de ses intérêts, les stipulations jurées aux Pyrénées,