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à Aix-la-Chapelle et à Nimègue. Les violences consommées depuis 1667 contre l’Europe, et depuis 1685 contre une partie des sujets français, firent donc de la guerre l’état en quelque sorte normal du monde, situation terrible dans laquelle les traités les plus solennels ne sont plus que des armistices destinés à préparer une vengeance plus sûre et des réparations plus complètes. Louis XIV avait fini par donner contre lui à l’Europe la plupart des avantages dont il avait profité lui-même au début de son règne. La confiance en l’avenir avait passé à la coalition; celle-ci se sentait forte et compacte en présence de la France appauvrie, qui allait bientôt perdre cent mille hommes dans l’horrible guerre des Cévennes. Le roi avait été bien plus complètement l’artisan de son malheur qu’il n’avait été dans d’autres temps celui de sa fortune : le cours des siècles avait préparé sa gloire, et sa politique personnelle provoquait ses désastres. Aussi vers l’époque qui marque la limite entre les deux générations et les deux fortunes, au lendemain de cette révolution d’Angleterre qui renversa par sa base tout l’édifice de sa suprématie extérieure et qui lui fut d’autant plus sensible qu’elle était comme le contre-coup de sa politique, Louis XIV paraît-il profondément absorbé par les perspectives nouvelles qui s’ouvrent de toutes parts et bien plus encore par la responsabilité directe qui commence à peser sur lui.

« Le roi paraît triste, dit Mme de La Fayette dans un très remarquable tableau de l’état de la cour à la fin de 1688 : premièrement, il est fort occupé, et de choses désagréables, car le temps qu’auparavant il passait à régler ses bâtimens et ses fontaines, il le fallait employer à trouver les moyens de soutenir tout ce qui allait tomber sur lui. L’Allemagne fondait tout entière, car il n’a aucun prince dans ses intérêts, et il n’en a ménagé aucun. Les Hollandais, on leur avait déclaré la guerre; les Suédois, qui avaient été nos amis de tout temps, étaient devenus nos ennemis; l’Espagne ne conservera la neutralité que jusqu’au temps où nous serons bien embarrassés. Nos côtes sont fort mal en ordre : M. de Louvois, qui a la plus grande part au gouvernement, n’a pas trouvé cela de son district; il savait l’union qu’il y avait entre le roi et le roi Jacques, et Dieu seul pouvait prévoir que l’Angleterre serait en trois semaines soumise au prince d’Orange... Le dedans du royaume n’inquiète pas moins le roi... Il y a beaucoup de nouveaux convertis gémissant sous le poids de la force, mais qui n’ont ni le courage de quitter le royaume ni la volonté d’être catholiques. Ils voient l’événement d’Angleterre et reçoivent chaque jour des lettres de leurs frères réfugiés qui les flattent de se voir délivrés de la persécution dans l’année 1689. Quand ils songent que tout le monde est contre le roi, ils ne doutent point du tout qu’il ne succombe, et outre les nouveaux convertis, il y a