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bourg, que les traités de paix ne devaient plus dissoudre, eut été cimentée par la révolution d’Angleterre. Malgré la haute rectitude de son esprit, Louis XIV avait été conduit à lier en effet son sort au succès d’une œuvre qui, grâce à Dieu, sera toujours d’un succès définitif impossible dans quelque siècle qu’on l’entreprenne : c’est celle qui consiste à enchaîner la liberté de l’Europe et à violenter la conscience humaine.

Ce prince succomba comme Napoléon, par les mêmes causes et devant les mêmes obstacles; mais il eut sur le conquérant l’immense avantage de mourir corrigé, et disposé, si les ressentimens accumulés contre lui le lui avaient permis, à renoncer loyalement à la politique qui finit par faire mettre en question jusqu’à l’existence même de la France dans la crise suprême qu’ouvrirent pour l’un et pour l’autre les affaires d’Espagne. Il eut cet autre avantage d’avoir pleinement raison contre ses ennemis et de devoir ses plus grands malheurs à une cause dans laquelle il représentait le droit, la liberté et la justice. Lorsque Louis XIV accepta le testament qui, se fondant sur la nullité radicale des renonciations souscrites par les infantes, appelait le duc d’Anjou à recueillir l’intégrité de la monarchie espagnole comme le plus proche héritier des rois catholiques, le roi de France fit un acte irréprochable en politique comme en morale, car personne n’ignore qu’une autre conduite n’aurait pas prévenu la guerre avec l’Autriche. Or mieux valait, après tout, avoir la guerre pour sauver un grand peuple que pour l’anéantir en trompant sa confiance. D’ailleurs le lustre passager que donnait à la maison de Bourbon l’adjonction d’une couronne indépendante servait beaucoup moins l’ambition de Louis XIV que n’aurait fait le projet de démembrement territorial secrètement préparé avec la Hollande et l’Angleterre. Ce prince défendait donc une cause où les intérêts de son honneur étaient plus engagés que ceux de sa puissance dans la guerre fatale où la France épuisée dut étayer toute la faiblesse de la vaste monarchie dont elle avait assumé la tutelle. Cependant ni le bon droit de Louis XIV, ni le vœu de l’Espagne presque unanime, ni la constante modération du vieux monarque dans toutes les phases de cette longue lutte qui fut l’honneur véritable de sa vie, ni ses offres réitérées de transaction, ne parvinrent à désarmer des ressentimens qui s’adressaient plus au roi qu’à la France, et dans lesquels les humiliations du passé tenaient une bien plus large place que les sollicitudes de l’avenir. C’est qu’en matière de gouvernement il n’est pas une erreur qui n’aboutisse à une expiation d’autant plus rude qu’elle a été plus ajournée. Un malheur très ordinaire aux hommes d’état, c’est de ne pouvoir réparer leurs fautes, lors même qu’ils en ont l’entière bonne volonté. Telle fut la destinée de Louis XIV, et c’est cette lutte sans