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espoir contre les obstacles accumulés par lui-même qui imprime une si lamentable grandeur à la dernière période de son règne.

Ce ne fut pas seulement au dehors que Louis XIV rencontra des barrières insurmontables, même à ses plus sincères repentirs, dans l’accumulation des colères et des haines : ce fut la France qui manqua au monarque à la phase la plus critique de sa vie. Les forces morales qui en étaient naguère l’ornement s’étaient éteintes ou affaiblies avec la population et la richesse, avec la victoire et le succès, à ce point que la nation personnifiée dans son chef parut atteinte de sa propre vieillesse, mais sans posséder l’énergie qui chez Louis XIV faisait au roi surmonter l’homme.

Lorsqu’on pénètre dans l’intimité de ce gouvernement concentré aux mains d’un prince qui, tout jaloux qu’il soit de son autorité, est d’ordinaire asservi par les médiocrités qu’il a choisies dans la pleine confiance de les dominer; quand on voit Louis XIV, confiné dans le cabinet de Mme de Maintenon entre Chamillart et Voysin, entre les pères de La Chaise et Tellier, déployer jusqu’à son dernier jour, dans des querelles d’école dont il ne comprend pas le premier mot, l’ardeur, la passion, l’activité personnelle qu’il mettait naguère au service de son ambition et de son orgueil, il semble que la France soit sur le point d’étouffer dans l’étroit horizon dont les limites sont marquées par Port-Royal, Saint-Sulpice et Saint-Cyr. Dépouillée du prestige de la jeunesse et du bonheur, l’omnipotence royale, exercée sur la génération née à l’ombre de ses maximes, avait conduit la nation vers l’impuissance militaire signalée par l’impéritie des généraux et le découragement universel des armées. Cette omnipotence, passée des lois dans les mœurs et des théories dans les faits, avait provoqué dans les caractères et dans les intelligences une prostration dont les monumens des dernières années du règne portent tous des traces sensibles, soit que l’on recherche celles-ci dans les œuvres mêmes du temps, ou qu’on les demande aux sinistres confidences de Fénelon sur l’avenir de la France, au patriotique désespoir de Catinat mourant, soit même qu’on les relève dans la mélancolique correspondance de la femme habile qui fut l’Égérie de ce gouvernement aux abois.


III.

Quels autres fruits pouvait produire après cinquante ans la vie stérile et claquemurée à laquelle le roi avait condamné dans Versailles et dans Marly les seules classes qui, ayant accès près de sa personne et de son gouvernement, formaient alors la partie politique de la nation ? Le peuple proprement dit ne comptait que pour