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rects de sa personne, les chefs de ses armées et les membres de son conseil.

Ce monde, déjà si restreint quant au nombre, se composait de trois catégories principales qui, tout en s’efforçant de se confondre, se jalousaient profondément. C’étaient d’abord les anciennes maisons princières ou vraiment seigneuriales, qui avaient depuis plusieurs siècles quitté leur existence féodale pour vivre à Paris à la suite du suzerain; c’était la classe beaucoup plus nombreuse des courtisans proprement dits, élevés par le service domestique ou par la faveur personnelle de la royauté, et dont l’importance remontait rarement au-delà des derniers Valois, qui, dans leurs capricieuses fantaisies, avaient prodigué à des favoris de la plus humble origine les premières dignités de l’état; c’étaient en dernier lieu les familles ministérielles issues de secrétaires d’état tenant leur charge à titre à peu près héréditaire, et qui, malgré les dédains des grands seigneurs, tendaient de plus en plus à se confondre avec eux.

Cette catégorie d’hommes, élevés par la pratique des affaires et liés au sort de la monarchie par des titres plus importans que des services de vénerie ou d’équitation, aurait pu prendre dans un milieu moins frivole, dans une atmosphère moins infectée de la contagion d’une élégante servilité, les traditions d’un véritable patriciat politique; mais la plupart des fils de secrétaires d’état ne virent dans leurs hautes fonctions qu’un moyen de faire oublier la nouveauté de leur origine, et n’eurent d’autre souci que de se confondre, à force de prodigalités, avec les gens de cour placés à leur merci par les besoins de la fortune et les intérêts de l’ambition. Les fils et les neveux de Colbert, de Le Tellier, de Phélypeaux, de Fouquet lui-même et de Desmarets, transformés en marquis de Seignelay, de Barbézieux, de Bellisle, en comtes de Pontchartrain, de Maurepas, ou de Maillebois, perdirent pour la plupart, avec leurs nouveaux titres, le goût et jusqu’au respect de la vie modeste et laborieuse qui les leur avait procurés. De la sorte ces dénominations éclatantes, qui dans un pays constitué comme l’Angleterre ont l’avantage de vieillir les jeunes renommées en élevant la valeur personnelle au niveau de la naissance, eurent sous l’ancien régime ce seul et déplorable résultat d’abaisser les ministres au niveau des courtisans, sans donner aucunement à ces derniers le goût de devenir à leur tour des hommes d’état. Seignelay et Barbézieux, fils et successeurs de Colbert et de Louvois, et qui l’un et l’autre avaient hérité de certaines qualités éminentes, hâtèrent par leurs dissipations et leurs excès la fin d’une carrière ministérielle dont l’éclat les touchait bien plus que l’importance, parce que leurs fonctions administratives les humiliaient au lieu de les honorer. Ainsi demeura stérile, sous la mortelle in-