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tainIgnacio Garcia de ma connaissance, qui sans doute me procurerait des chevaux. A peine étions-nous engagés dans un sentier fort étroit, qui cheminait à travers un bois très épais et semblable aux forêts vierges de la Louisiane, que des torrens de pluie tout à fait inattendus nous percèrent jusqu’aux os, inondèrent le sentier et le parsemèrent de véritables mares où nos chevaux enfonçaient jusqu’aux genoux. Le bois devenait de plus en plus touffu et serré, il arrondissait au-dessus de nos têtes, en forme de voûte, ses branches vigoureuses, que l’orage faisait craquer d’une manière effroyable. Mon guide m’avoua alors qu’il s’était égaré. « Marchons toujours, lui dis-je, nous rencontrerons peut-être quelqu’un qui nous remettra dans le chemin. » L’orage s’apaisa presque aussi vite qu’il était venu, et nous arrivâmes au bord d’une prairie au-dessus de laquelle brillait un arc-en-ciel étincelant. Un troupeau de vaches et de chèvres paissait, gardé par un cavalier entièrement nu. Ses cheveux longs et hérissés, sa peau brune, son fusil, lui donnaient un air sauvage et terrible. Cependant, quand je lui demandai s’il connaissait le rancho de don Ignacio Garcia, il fit un signe de tête affirmatif et m’indiqua simplement du doigt un sentier qui y conduisait. Ce sentier faisait des tours et des détours pareils aux replis convulsifs d’un reptile blessé, et décrivait de droite et de gauche entre les arbres des circuits si fréquens, qu’il fallait sans cesse tirer la bride et tracer de petits demi-cercles. Après une demi-heure d’évolutions, je vois se dresser un énorme serpent à sonnettes; mon cheval épouvanté se jette à droite, je donne de la tête contre une grosse branche si violemment que je tombe par terre sans connaissance; si je n’avais eu un épais chapeau de feuilles de palmier, au lieu d’être étourdi, j’étais tué. Mon cheval s’échappa; mon guide, qui était assez loin derrière moi, passa par-dessus mon corps, emporté par sa bête, également effrayée. Mon étourdissement passé, je repris ma route à pied, maudissant cette fois les serpens à sonnettes. Au bout d’un mille, je trouvai mon guide qui, devenu maître de son cheval et ayant rattrapé le mien, revenait à ma rencontre, et j’aperçus une ferme inconnue, qui était, selon lui, la ferme que nous cherchions. Je vis bien qu’il y avait quelque erreur. Une vieille femme était assise sur la porte d’une cabane, fumant sa cigarette. « Est-ce ici, lui dis-je, le rancho de don Ignacio Garcia? — Oui, mais il est parti pour la fête. — Y a-t-il plusieurs Ignacio Garcia dans les environs? — Oh! il y en a beaucoup. » J’avais été trompé par une similitude de nom. « Avez-vous des chevaux? — Il n’y en aura qu’après la fête. — Avez-vous de quoi manger? Je n’ai rien pris depuis hier. — Non, senor, je viens de manger la dernière tortilla. — Pouvez-vous du moins nous faire du feu? — Hélas ! je n’ai pas de bois, et les cannes de maïs qui sont dans la basse-cour sont