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trop mouillées pour pouvoir s’allumer. » Nous étions si fatigués, la nuit était si obscure, qu’il nous était impossible de rebrousser chemin ; désespérant de trouver une place sèche pour me coucher, je m’étendis dans une mauvaise charrette. Mes habits étaient collés sur mon corps, mes dents claquaient, j’avais les membres rompus par ma course et par ma chute ; je ne pus dormir. Nous nous levâmes de bonne heure et pûmes enfin regagner Reynosa.

Le curé de Reynosa parvint à me procurer un cheval, mais il ne trouva pas de guide ; force donc me fut d’aller seul à l’aventure sans autre indication que le cours des astres. Le pays était plat, mais les arbres et les pâturages avaient été disposés par la nature avec une gracieuse coquetterie. C’était tantôt un coin de forêt, tantôt une petite prairie verte ou fleurie, tantôt un champ de maïs aux épis dorés ou de cannes à sucre aux feuilles lancéolées, tantôt une ressaca où se baignaient des canards sauvages, des grues et des hérons. Le chemin était bon, seulement il disparaissait de temps en temps sous l’herbe ; quelquefois il était couvert d’arbustes, ailleurs il était même labouré et cultivé. Depuis que le Mexique a renversé le gouvernement espagnol, la république n’a rien fait pour les routes, et si elle ne finit par s’en occuper, les communications deviendront impossibles.

J’arrivai, me dirigeant toujours vers Brownsville, à un rancho où se réunissaient de nombreux cavaliers, les uns en habits de fête et joyeux, les autres déguenillés et de mauvaise mine. Ce rancho, nommé la Palma, est presque une petite ville ; sa population est d’environ un millier d’âmes. Ce jour-là, il s’y trouvait plus de trois mille personnes venues de tous les environs pour la fête de Santiago. La Palma n’a pas de grande place comme les autres villes ou ranchos de ces contrées, mais elle est coupée par une rue d’une largeur démesurée. C’était dans cette rue qu’avaient lieu les courses et les danses. Je m’assis sur le seuil de la cabane où je devais loger, et, en attendant le dîner, je considérai les réjouissances publiques. La plupart des rancheros montaient de superbes chevaux ; les selles et les brides étaient rehaussées d’argent ; deux chevaux avaient même pour brides des chaînes d’argent massif. Après les courses, les cavaliers se promenèrent par groupes serrés, en se donnant le bras et en chantant avec accompagnement de mandolines et d’accordéons. Quelques-uns s’amusaient à prendre une femme en croupe, à partir au galop jusqu’au bout de la rue pour revenir déposer leur fardeau, et recommencer avec d’autres à tour de rôle. Vers le soir cependant, les chevaux furent attachés aux arbres du rancho, quelques lanternes furent pendues aux branches, on disposa des bancs en forme de carré long ; les rancheras, parées de leurs plus