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En toutes choses, les Anglais aiment la réalité, qui est la forme extérieure de la vérité, et ne se paient pas d’apparences et de chimères. Ils ont été accusés d’être matérialistes ; mais leur matérialisme n’est, à tout prendre, que la protestation d’hommes qui n’aiment pas à être dupes et à se nourrir de fumée. Ils ne veulent pas, selon l’énergique parole de l’apôtre, boire de la cymbale et manger du tambour. Ils croient plus aux faits qu’aux paroles, non-seulement pour les autres, mais pour eux-mêmes. Ils n’ont aucune bonne opinion d’eux-mêmes tant qu’ils n’ont pas fait quelque chose, et ils ne deviennent invincibles que dès qu’ils sont sûrs d’eux-mêmes. C’est un proverbe saxon qui se retrouve au fond de toute leur histoire, qu’un homme ne connaît jamais sa force véritable que lorsqu’il l’a essayée. Ils n’ont aucun des critériums délicats du tact, de l’esprit de finesse, de l’intuition, pour pénétrer le mérite latent d’un homme avant qu’il se soit révélé. Ces facultés d’appréciation féminines ne conviennent pas à cette race virile ; ils n’ont d’autre moyen d’appréciation que les actes et les œuvres accomplis, mais alors la supériorité de leur jugement se révèle, ainsi que leur grand esprit de justice. Chaque chose est estimée pour ce qu’elle vaut, depuis le talent d’un boxeur jusqu’à la correspondance d’un journal. Ils savent exactement proportionner la récompense au mérite intrinsèque de chaque œuvre produite ; telle chose doit se payer par de l’argent, telle autre par de l’estime, celle-ci par de la popularité, celle-là par une pairie. Ils ne surenchérissent, ni ne marchandent sur rien. Il est difficile de tromper et d’abuser longtemps des hommes d’un pareil bon sens, car ils veulent voir partout un exact équilibre entre les paroles et les actes, une exacte appropriation des moyens à la fin. Ils ne sacrifient pas à l’apparence, à la vanité ; ils ne cèdent qu’à la nécessité. Leur architecture n’est pas établie sur des règles géométriques et des principes esthétiques : elle est déterminée par les nécessités de la vie. La maison est construite pour son habitant et conformément à sa manière de vivre. Il en est de même de tous les détails de la vie. Le costume tire son élégance de la juste application du vêtement à l’usage auquel il est destiné ; il est toujours élégant, selon eux, s’il remplit les conditions d’aisance, de commodité, de chaleur, en vue desquelles il a été confectionné. Cet attachement passionné à la réalité a été très bien saisi et très vivement rendu par Emerson : « Ils aiment la réalité dans la richesse, le pouvoir, l’hospitalité, et apprennent difficilement à se contenter de l’apparence… Ils n’ont pas un grand goût pour les ornemens ; mais s’ils portent des bijoux, il faut que ce soient des bijoux. On lit dans le vieux Fuller qu’une dame au temps d’Elisabeth aurait autant aimé avaler un mensonge que de porter de fausses pierres précieuses et des pendans de fausses perles. Ils ont une préférence et comme une sorte d’appétit terrestre