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170,000 hommes, levée en vertu d’une coutume impérissable aussi longtemps que le nom de chowkeedar de village existera, se recrute parmi les classes les plus viles, les plus méprisées de la population. Les chowkeedars de village coûtent légalement aux populations 60 lacs par an, sans compter ce qu’ils s’attribuent par des moyens frauduleux, et ne sont cependant soumis à aucun autre contrôle que celui d’une communauté de village faible et ignorante, dont ils sont tantôt les tyrans, tantôt les esclaves. Yoleurs par esprit de caste, par habitudes, par relations, ces agens indépendans d’un système régulier de police sont sans organisation hiérarchique, dépravés par instinct, en un mot pires qu’inutiles. »


Dans les diverses opinions que nous venons d’émettre, nous nous sommes efforcé de dépouiller tout esprit de parti, tout esprit même de nationalité. Notre histoire est assez riche en grandes pages pour qu’un homme qui s’honore du titre de Français puisse rendre justice à ce merveilleux édifice que l’habileté des hommes d’état de l’Angleterre et la bravoure de ses soldats ont élevé dans l’est. Des sentimens privés ont sans doute à réclamer une part d’influence dans la faveur que nous avons témoignée à ces institutions protectrices qui semblent devoir assurer un long avenir à la puissance anglaise dans l’Inde. Ainsi des sympathies bien naturelles pour une nation dont nous avons foulé le sol pendant de longues années, dans les rangs de laquelle nous comptons de sincères amitiés, encore mieux peut-être la triste expérience des dangers qu’appellent sur les nations ces réformateurs à jet continu qui les conduisent au bord de l’abîme quand ils ne les y précipitent pas, — ces considérations expliquent assez pourquoi nous ne nous sommes pas mis à la remorque des grandes phrases consacrées, sonores et creuses, que les réformateurs en question inscrivent à grand fracas sur leurs drapeaux, et qui au mieux ne signifient rien, entre autres celle-ci : « L’Inde doit être gouvernée par l’Inde et pour l’Inde, et non pas par l’Angleterre et pour l’Angleterre. » Ami sincère d’un progrès libéral et intelligent, si dans la question indienne nous devions prendre une devise, nous choisirions plutôt ces nobles paroles, prononcées par l’illustre marquis de Wellesley aux premières années du siècle : « L’Inde doit être gouvernée d’un palais avec le sceptre d’un homme d’état, et non pas d’un comptoir avec une aune de marchand. »

L’importance du domaine de l’Inde pour l’Angleterre ne saurait échapper à la plus superficielle étude des sources et des agens de la fortune britannique. Si l’Angleterre a échappé aux crises révolutionnaires qui ont bouleversé depuis cent ans les divers états de l’Europe, c’est sans contredit parce qu’elle a pu verser dans ses domaines