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de l’est cette classe vraiment dangereuse des sociétés modernes, les hommes d’éducation qui, écrasés par la trop grande concurrence des professions libérales, ne peuvent se faire en Europe leur part de soleil. Aussi, devant cette question si vitale pour l’Angleterre : assurer l’avenir des cadets de famille, to provide for the younger sons, nous nous sentons inhabile à prendre en main la cause des natifs, à réclamer en leur faveur ces droits naturels dont la domination étrangère les dépouille, à conseiller en un mot le suicide à nos voisins d’outre-mer, en les engageant à mettre en pratique la devise de l’Inde gouvernée par l’Inde et pour l’Inde. Il y a sans doute dans ce fait d’une population exclue systématiquement de tous les hauts emplois de l’administration, d’une armée commandée exclusivement par des étrangers, un état de choses anormal, un abus de la force, une injustice réelle; mais il y a au-dessus de tout cela l’intérêt du salut public, une question de vie ou de mort pour l’Angleterre : to be or not to be! L’injustice est d’ailleurs plus apparente que réelle : sauf des exceptions infinitésimales, il faut le reconnaître, on ne saurait rencontrer des natifs capables de remplir dignement de hauts emplois. Eussent-ils même l’énergie, les pouvoirs intellectuels nécessaires, ils seraient dépourvus de cet amour de la vérité, de ce culte du devoir, de cet instinct du point d’honneur, aussi nécessaires au magistrat qu’à l’officier. Ce sont là sentimens inconnus à la race indienne; quiconque a la moindre expérience de ses mœurs l’avouera sans hésiter. En présence de ces faits, comment donc conseiller à l’Angleterre d’ouvrir les hauts grades de son armée ou les rangs du service civil aux hommes de l’Inde?

Il est d’autres faits encore que l’on ne saurait passer sous silence. Les événemens des vingt dernières années, années pleines d’épreuves, de succès mêlés de revers, ont donné une juste idée de la fragilité des bases sur lesquelles repose la puissance anglaise dans l’Inde. Pendant les désastres de Caboul, les campagnes incertaines du Punjab, on a pu facilement se convaincre que les sympathies populaires de l’Inde étaient avec les Afghans et les Sicks, et non pas du côté des Anglais. C’est en vain que la conquête anglaise a tiré l’Inde de l’abîme des guerres civiles et des révolutions, que sous son influence la fortune publique a augmenté dans des proportions prodigieuses : tous les bienfaits d’un gouvernement régulier, la liberté individuelle, la sécurité parfaite de la propriété, les grands travaux publics qui sillonnent aujourd’hui le pays, n’ont inspiré aux populations ni affection ni reconnaissance. Pour elles, l’Anglais a été, il est et sera toujours le maître, sinon l’ennemi!

En pesant mûrement ces diverses et toutes puissantes considérations, on est amené à juger moins sévèrement les mesures d’exclusion