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tère d’un châtiment, et le châtiment doit toujours être prompt. Les Autrichiens se sont donc empressés de retirer de Venise toute la partie de l’établissement militaire qu’ils ont pu loger à Trieste. École navale, observatoire, travaux hydrographiques, matériel flottant, parc d’artillerie, tout ce qui pouvait se déplacer immédiatement a quitté la côte d’Italie. Les chantiers de construction, les grands magasins sont restés en arrière, et le port de guerre disloqué a paru coupé en deux par l’Adriatique. La colère est mauvaise conseillère, et celle qui a inspiré cette précipitation a fait bien plus de tort à l’Autriche qu’à Venise. Des services dont la force et l’économie dépendent de leur unité ont été épars pendant plusieurs années ; ce qui se serait fait à peu de frais et bien s’est fait mal et chèrement ; la malencontreuse étape de l’établissement militaire dans le port le moins préparé pour le recevoir a grevé les finances obérées des dé- penses de deux installations au lieu d’une. Enfin, si l’Autriche se fût brouillée avec une puissance maritime, fût-ce l’Union américaine, Trieste aurait eu la chance d’être brûlée en qualité de ville de guerre. — Le bon sens le plus vulgaire prescrivait de laisser l’arsenal à Venise jusqu’à l’appropriation de son emplacement définitif, et d’opérer ensuite la translation d’un seul jet ; l’état se serait de la sorte épargné les pertes qu’il a essuyées et les dangers auxquels il a exposé une de ses plus précieuses possessions. Aujourd’hui que le temps des vengeances semble passé, on promet au port de Venise de lui laisser pour consolation la construction des bâtimens de flottille et des petites machines à vapeur ; mais l’odeur de moisissure et l’air d’abandon de l’arsenal démentent des paroles irréfléchies, si elles sont sincères. Des demi-mesures très préjudiciables aux services militaires qu’il s’agit de constituer le seraient encore davantage, en empêchant des combinaisons nouvelles, aux anciens intérêts qu’on croirait ménager. Venise ne perdra rien à la suppression de son arsenal, pourvu que cette suppression soit si complète que les darses militaires se transforment en docks de commerce, et les magasins d’agrès des doges en entrepôts de marchandises.

Les bons ports de commerce sont en général dans les angles rentrans des côtes, et si la marine militaire n’a pas d’autre destination que de couvrir des rivages menacés et d’être à portée de prendre l’offensive contre l’ennemi qui tient le large, les positions avancées sont les seules qui lui conviennent. Celle de Trieste est aussi mal choisie pour la marine militaire qu’elle est avantageuse à la marine marchande. Le contact des deux marines, quand l’une est trop puissante pour ne pas être complètement subordonnée à l’autre, n’engendre jamais d’ailleurs qu’une gêne extrême pour chacune d’elles, et l’inconvénient est d’autant plus grand à Trieste, que l’espace à partager entre l’établissement militaire et l’établissement commercial