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laborieux, les côtes de la Mer-Rouge, les mers de l’Inde et de la Chine, et elle n’a pas cessé depuis d’avoir les yeux tournés vers ces régions lointaines. Quand la grande voie entre le nord et le midi de l’ancien monde sera ouverte, Trieste sera, par la Mer-Rouge, aussi près du tropique du Cancer que du détroit de Gibraltar; une navigation de 9,000 kilomètres, au lieu de 33,000, conduira de son port au détroit de la Sonde; ses navires n’auront qu’à marcher en droite ligne pour atteindre les contrées équinoxiales et se plonger dans les climats dont les populations ont le plus d’échanges à faire avec l’Europe.

Si des personnes préparées par l’observation réfléchie des faits accomplis à la venue de faits plus considérables encore lisent ces pages à Trieste même, sur les crêtes de la Chiarbotta, elles ne seront point surprises de la hardiesse de ces prévisions; mais en voyant le port qui gît à leurs pieds encombré de navires et l’étroite plaine adjacente couverte de maisons, elles pourront se demander où trouveraient à se placer une population quadruple et d’autres flottes marchandes. Leur inquiétude ne sera pas longue : en se tournant vers le sud, leurs regards tomberont sur la belle anse de Muggia; peut-être calculeront-elles qu’une digue moitié moindre que celle de Cherbourg la convertirait en port, et que le creusement d’une tranchée capable de donner passage à un canal qui la réunirait au port actuel fournirait les remblais nécessaires pour transformer, comme à New-York, les hauts-fonds du rivage en quartiers populeux. La nouvelle ville s’épanouirait au soleil du midi, et sur son horizon la mer ne refléterait que des collines verdoyantes.

Le développement de la navigation autrichienne réclamait depuis longtemps une protection efficace; elle ne pourrait pas rester désarmée dans le voisinage de Corfou. C’est ce qui a déterminé la création d’établissemens militaires dont nous allons maintenant essayer de faire connaître les bases.


III.

Au moment de la révolution de 1848, l’arsenal de Venise était encore le seul dépôt des forces navales de l’Autriche; mais les améliorations qu’il avait reçues sous le règne de Napoléon ne l’avaient point mis en état d’admettre un matériel naval capable de se mesurer avec les vaisseaux de ligne de notre temps, et cette condition d’infériorité le condamnait comme établissement militaire. La translation de l’arsenal aurait été dès 1808 une mesure judicieuse; à plus forte raison, l’aurait-elle été quarante ans plus tard. La révolution étouffée, au lieu de chercher dans l’exécution du projet le bien de l’état et celui de la marine, on a voulu lui donner le carac-