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et la joie de l’Italie ? Non, sa foi était trop profonde, de telles âmes ne se convertissent pas. Il reprit le bâton de pèlerin, et pendant dix années (1311-1321), errant de ville en ville, accueilli tour à tour chez des gibelins et chez des guelfes, indifférent aux opinions de ses hôtes, car il habitait toujours une sphère supérieure aux partis, il s’obstina à espérer contre toute espérance. Il croyait invinciblement à la venue d’un rédempteur. Il se préparait à rentrer à Florence avec la consécration de la gloire ; il voyait en imagination le jour où sa patrie, ramenée dans les voies de Dieu, couronnerait de lauriers l’auteur de ce poème auquel le ciel et la terre avaient mis la main. En attendant cette réparation et ce triomphe, il se glorifiait lui-même dans la cité divine. Cette couronne impériale, cette mitre du souverain pontife, qu’il voulait voir présider ensemble à la cité terrestre, Virgile les lui remettait au seuil du paradis, pour qu’il en fût le gardien. Ce sont les derniers mots que le poète latin lui adresse : « Je te donne la couronne et la mitre. » Il mourut sans voir se réaliser sa chimère ; mais avant de descendre au tombeau il avait placé au plus haut de l’empyrée, au sein de cette rose radieuse qu’illuminent les regards de Dieu, l’âme auguste de ce grand Henri qui était venu réformer l’Italie avant que l’Italie fût prête ; il avait annoncé que le Gascon, le pape qui avait trompé l’empereur, Clément V, serait précipité dans le gouffre des simoniaques, et qu’en y tombant il ferait plonger plus au fond le violent usurpateur du glaive, le pape Boniface VIIII Dante pouvait répéter fièrement à sa dernière heure l’éloge que lui adresse son aïeul Cacciaguida, au dix-septième chant du Paradis : « Il te sera beau un jour d’être demeuré seul, et d’avoir été ton propre parti à toi-même :

A te fia bello
Aver ti fatta parte per te stesso. »


II

Une fois le caractère de Dante bien connu, une fois sa doctrine politique et morale établie avec précision, la Divine Comédie ne nous offre plus de mystères. Chaque détail, éclairé d’une lumière subite, révèle l’unité logique de l’ensemble. Rappelons-nous le credo religieux et politique du poète ; il contient en germe tous les symboles de son œuvre. Cet Enfer qui a englouti tant de commentateurs, ce Purgatoire et ce Paradis, où l’on a vu tant de contradictions insolubles, vont dérouler à vos regards de lumineuses visions.

Quelle est l’idée fondamentale de la Divine Comédie ? On répond ordinairement : C’est un grand symbole, le voyage d’une imagination extatique à travers les mondes invisibles. Réponse superficielle et banale. Derrière les voiles du symbole, sous la peinture de ce mystique