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et la femme que Dante a aimée, si haut qu’elle s’envole dans sa transfiguration idéale, ne peut se confondre avec l’essence première. Pourquoi vouloir être plus précis que le poète ? Disons simplement : Béatrice, c’est l’amour, l’amour ramené à sa source, l’amour divin, sans lequel toute la science des docteurs est une lettre morte. Les principes de l’école, en passant par sa bouche, acquièrent une vertu nouvelle. Et c’est ainsi que Béatrice complète l’œuvre de Virgile. Virgile enseigne l’ordre temporel, Béatrice enseigne l’ordre spirituel. Le plus noble des poètes glorifie les droits de l’empire ; les droits de l’église sont glorifiés par une âme qui n’est qu’amour. Double leçon inscrite à chaque page du poème : l’empire conseillé par la sagesse, l’église inspirée par l’amour, voilà le rêve de Dante.

Comment s’étonner après cela de la liberté du poète ? Sa doctrine embrasse tous les devoirs de l’homme ici-bas. Du haut de ce faîte où il siège comme un juge, il distribue la récompense et le châtiment avec une certitude redoutable. On a cru voir des contradictions dans les sentences du justicier, on a été surpris de trouver des gibelins dans son enfer, et l’on a dit : « Il a tracé cette peinture étant guelfe, cette autre étant gibelin. » Rien de plus faux : devant sa théorie politique et religieuse, telle que la critique moderne l’a retrouvée, toutes les contradictions s’évanouissent. Farinata et Frédéric II sont couchés dans les sépulcres des hérétiques au nom de la même loi qui plonge Nicolas III et Boniface VIII dans le gouffre des simoniaques. Si l’on veut apprécier la justice de Dante, il faut le comparer aux autres écrivains qui ont prétendu s’attribuer les mêmes fonctions. Fauriel et Auguste Kopisch, Charles Labitte et Ozanam, ont pris plaisir à rechercher ces visions de l’enfer et du ciel qui ont précédé la DivineComédie ; quelle différence entre ces tableaux et le poème de Dante ! Là, des satires incohérentes, des condamnations prononcées au hasard, selon l’humeur et la fantaisie de l’écrivain ; ici, l’échelle des fautes et des crimes d’après un plan philosophique. Ce plan est si net, qu’un des récens commentateurs a pu recomposer avec l’Enfer et le Purgatoire le code pénal d’Alighieri, code complet,