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lui sont propres ; elle a reconstruit le système de Dante et retrouvé l’unité de cette grande âme. Si Dante est bien compris aujourd’hui, c’est à elle qu’il faut en rapporter l’honneur. Les traductions de Streckfuss, de Kannegiesser, au commencement de ce siècle, plus récemment celles de M. Auguste Kopisch et du roi de Saxe, donneraient lieu, si on les examinait en détail, à plus d’un reproche sérieux ; les travaux des historiens, les découvertes de MM. Charles Witte ; Franz Wegele, Emile Ruth, les patientes études du roi Jean, sont de véritables conquêtes pour la science.

Au contraire, c’est par des traductions du premier ordre que la littérature britannique s’est distinguée dans cette lutte…Mi Simpson est un érudit estimable, M. Barlow a étudié le texte de Dante avec la finesse d’un Italien et la conscience d’un Allemand ; mais comment comparer leurs travaux un peu maigres à la traduction de la Divine Comédie, par M. Henri Cary, à celles de Thomas Carlyle et de M. Cailey ? La traduction de M. Cary est consacrée par le succès, celle de Carlyle révèle un rare sentiment du style dantesque[1]. Le travail de M. Cailey n’est pas moins remarquable. M. Cailey est un négociant que les intérêts de son commerce ont confiné longtemps dans un port de la Russie septentrionale. Pour se consoler dans sa solitude, pour retrouver le soleil au milieu des glaces et des brumes, il a fait amitié avec Dante ; une passion sincère anime son talent. La langue anglaise avec sa précision et sa force se prêtait merveilleusement à l’interprétation du vieux maître ; M. Cailey amis à profit toutes ses ressources. J’ai déjà signalé, comme une œuvre à part, le livre de Thomas Carlyle sur les héros et ses belles pages sur Alighieri ; Emerson, dans ses Representative Men, ne donne pas de place à Dante, bien qu’il le cite souvent et qu’il sache l’apprécier ; parmi les types qu’il met en scène, un seul, Platon, est emprunté au monde antique, tous les autres appartiennent à l’ère moderne ; le moyen âge n’est pas représenté dans ce tableau. L’auteur de Hero Worship est plus juste, sa galerie est plus complète ; le poète catholique t tient dignement son rang à côté de Luther et de Shakspeare.

Si l’Allemagne et la France, l’Angleterre et l’Italie, maintiennent ici leur supériorité littéraire, il est d’autres pays qui ne doivent pas être oubliés. Je ne parle pas de l’Espagne, Dante l’avait pénétré de bonne heure[2] ; mais l’inquisition, plus sévère que l’église romaine,

  1. La traduction de Carlyle, publiée en 1849, ne contient que l’Enfer. M. Cailey avait publié l’Enfer en 1851 ; le Purgatoire et le Paradis ont paru dernièrement. — On doit aussi une traduction de l’Enfer à M. Broofesbank (1854) et une traduction complète de la Divine Comédie à M. Pollock (1854). L’œuvre de M. Cary a précédé toutes celles que je viens de citer. La 4° édition est de 1844.
  2. Deux traductions de la Divine Comédie paraissent en 1428, l’une en catalan par Febrer, l’autre en castillan par don Enrique de Villena. Un siècle après, Pero Fernandez de Villegas, archidiacre de Burgos, entreprenait aussi le même travail ; l’Enfer seul a été publié (Burgos 1515, in-fol.).