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ceux mêmes qui ont vécu à Rome et à Florence. Si au lieu de peindre sur toile il eût été forcé de peindre sur la muraille, eût-il obtenu le même succès? Je me permets d’en douter. Dans tous les cas, Eustache Lesueur ne saurait être invoqué comme un argument dans la discussion qui nous occupe, car s’il demeure au-dessous de Nicolas Poussin par l’étendue de son savoir, il se place à côté de lui par la sincérité, par la naïveté de l’inspiration, et l’enseignement de l’École des Beaux-Arts de Paris, fût-il réformé, complété d’après les conseils les plus sévères, ne pourrait nous promettre sans témérité ni des Lesueur ni des Poussin.

Parmi les peintres contemporains, il y en a trois qui représentent l’école française avec plus d’éclat et d’originalité que les autres : je n’ai pas besoin de nommer MM. Ingres, Eugène Delacroix et Decamps. M. Delacroix, malgré son évidente sympathie pour l’école vénitienne, n’a jamais visité l’Italie. M. Ingres la sait par cœur. M. Decamps l’a parcourue dans tous les sens, l’interrogeant plutôt en paysagiste qu’en peintre de figures. Chose singulière, l’auteur de l’Apothéose d’Homère, l’auteur de la Bataille des Cimbres n’ont jamais été chargés par la ville de Paris de la décoration d’une chapelle. Sous le règne de Louis-Philippe, le préfet de la Seine avait demandé des esquisses à M. Ingres pour la frise et l’abside de Saint-Vincent-de-Paul ; comme ces esquisses devaient être soumises au contrôle des bureaux, cette demande ne pouvait être accueillie. Quant à M. Decamps, qui a tant de fois montré l’originalité de son talent dans l’interprétation de la Genèse, de l’Exode et de l’Évangile, je ne crois pas qu’il ait jamais eu à refuser aucune proposition de la ville. M. Delacroix décore en ce moment à Saint-Sulpice la chapelle des Saints-Anges. La municipalité agirait sagement en appelant MM. Ingres et Decamps à la décoration de nos églises. Je ne veux établir aucune comparaison entre ces deux talens, si profondément divers. Ils représentent deux aspects de l’imagination française : c’en est assez pour que je souhaite les voir en présence. Je sais d’avance que les amis de la réalité reprocheront à l’auteur de l’Apothéose d’Homère un trop grand respect pour les monumens du passé, à l’auteur de la Bataille des Cimbres un trop grand dédain pour la tradition. Peu m’importe, ce double reproche ne me touche pas. Avec MM. Ingres et Decamps, nous serions sûrs d’avoir des compositions d’un ordre élevé, et j’ai quelque raison de croire qu’ils seraient conduits par la nature de leurs études à préférer l’Ancien et le Nouveau-Testament à la biographie des saints.

Ce qui frappe d’abord dans la décoration des trois églises qui nous occupent, c’est la diversité des styles. Je conçois sans peine que la ville de Paris n’ait pas confié au pinceau d’un seul peintre toutes les