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chapelles de Saint-Séverin ou de Saint-Eustache : elle a cru devoir diviser ce double travail et répartir ainsi les encouragemens. C’est une intention excellente dont il faut lui tenir compte. Cependant je ne crois pas que le parti adopté par la ville soit le plus sûr moyen de développer le goût de la peinture monumentale parmi ceux qui pratiquent l’art et parmi ceux qui en jouissent. Un seul homme, chargé de la décoration d’une église entière, entreprendrait avec joie des études nombreuses et difficiles. Une chapelle à décorer n’est pas une œuvre d’assez longue durée pour le détourner de ses travaux habituels. S’il avait à composer toutes les scènes qui orneront les murs de l’église, il se sentirait vivement excité et ne reculerait devant aucun effort. En réponse à la pensée que j’exprime, on pourra citer MM. Orsel et Périn, qui ont consacré de nombreuses années aux chapelles de la Vierge et de l’Eucharistie à Notre-Dame de Lorette. Le courage, la persévérance de MM. Orsel et Périn sont des exceptions glorieuses que nous enregistrons avec bonheur ; mais la plupart des peintres contemporains, lors même qu’ils le voudraient, ne seraient pas en mesure de les imiter. Pour agir comme ils l’ont fait, il ne faut pas attendre le prix de son travail, et les peintres placés dans cette condition privilégiée ne sont que trop faciles à compter.

Saint-Germain-des-Prés et Saint-Vincent-de-Paul prouvent d’ailleurs tous les avantages d’une volonté unique dans la décoration des églises. À Saint-Germain-des-Prés, M. Hippolyte Flandrin n’avait à redouter aucune contradiction. À Saint-Vincent-de-Paul, il disposait librement de toute la frise, et l’abside peinte par M. Picot ne pouvait lui causer de bien vives inquiétudes. Dans l’église de la Madeleine, comme dans l’église de Saint-Merri, les dangers du morcellement des travaux se révèlent avec une pleine évidence. Il est donc permis dès à présent d’affirmer que, pour obtenir un effet harmonieux, il est nécessaire de confier à une seule intelligence, sinon à une seule main, l’ensemble de la décoration. Je n’ignore pas qu’en adoptant ce parti, la ville de Paris exciterait de nombreux mécontentemens ; bien des intérêts, bien des amours-propres se trouveraient froissés, mais j’incline à penser qu’il ne serait pas difficile d’apaiser ces mécontentemens. En déterminant d’avance la durée du travail, la ville obligerait celui qui aurait conçu l’œuvre entière à employer plusieurs mains, et pour peu qu’il eût le sentiment de la justice, il n’hésiterait pas à nommer les auxiliaires qu’il aurait librement choisis. C’est ainsi qu’agissait le chef de l’école romaine, et personne sans doute ne contestera l’autorité d’un tel exemple. Le prix du travail serait partagé entre plusieurs mains, et nous verrions se dérouler sur les murs de nos églises une suite de pensées exprimées dans un seul et même style.