Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se retirer, et que peu s’en est fallu que son nom manquât à la liste des membres de la plus grande compagnie scientifique de son temps, comme le nom de Molière manque sur les registres de l’Académie française. Notre Académie des Sciences a cette supériorité que chacun y peut aspirer, et que l’honneur d’en être membre n’est pas un impôt payé par les savans. Ce dernier mode a bien aussi ses inconvéniens, et au lieu d’une association qui s’est elle-même fondée et qui ne dépend que d’elle-même, où le pouvoir n’intervient que pour lui donner la personnalité civile d’une corporation, il établit un corps salarié, approuvé, réglementé par l’état, et qui peut devenir à l’occasion une collection de fonctionnaires. On a pourtant trouvé parmi les papiers de Newton un projet détaillé de constitution d’une société scientifique pour laquelle l’Académie des Sciences paraît lui avoir servi de modèle. Les Anglais ont songé souvent à des réformes de ce genre, et ce travail a peut-être donné à sir Robert Peel l’idée du Muséum of practical geology, qu’il a fondé et qu’il destinait, je crois, à réunir cette multitude de sociétés libres qui se disputent les naturalistes et les physiciens distingués de l’Angleterre.

Tout occupé qu’il était de sa polémique avec Hooke, Newton ne négligeait ni la chimie ni l’astronomie. Il passait les journées entières dans son laboratoire, et il a fait sur les combinaisons chimiques un ouvrage qui a été brûlé dans un incendie. Dans une lettre à Nicolas Mercator, écrite en 1675, il a donné les causes de la libration de la lune, c’est-à-dire expliqué pourquoi certaines taches semblent se mouvoir à la surface de la lune. Galilée avait déjà expliqué la libration diurne, et Newton s’est occupé de ce qu’on appelle la libration en longitude. Ce qui est moins scientifique, mais plus curieux, c’est qu’il ne dédaignait pas des occupations moins sublimes, et que, soigneux d’augmenter ses récoltes et son petit revenu, il étudiait l’art de planter les pommiers et de choisir les meilleures espèces de pommes à cidre. On a de lui une lettre à Oldenburg où il traite ces questions en bon jardinier, tandis qu’il lui écrivait sans cesse touchant la lumière, les couleurs, les lames minces, les bulles de savon et leur coloration produite par des réflexions et des réfractions diverses. C’est dans cette correspondance qu’on peut trouver ses théories sur la coloration de certains corps, sur l’utilité de leurs teintes, leur beauté et leur éclat. Sous ce rapport, les études chimiques de Newton ne lui étaient pas inutiles, et il est clair qu’il pensait que la couleur d’un corps ne dépend point de la nature des atomes qui le composent, mais de l’arrangement, du groupement de ces atomes. Si même de son temps la science eût été plus avancée, il aurait pu, par l’étude de la coloration, expliquer quelques phénomènes qui semblent purement chimiques et nous apprendre à reconnaître à l’aspect seul la composition de certains corps et l’arrangement de