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fabrique fut dès-lors abandonnée. La superstition n’était point étrangère à cette terreur, quoique le dieu-martyr de la porcelaine veillât sur ses adorateurs. Potier lui-même, il s’était jeté dans le feu un jour que, faute d’alimens, la flamme défaillante allait faire manquer la cuisson.

Les progrès de la porcelaine blanche aidaient aux progrès de la porcelaine de couleur, puisqu’il suffisait d’appliquer une couleur différente. Rien n’était épargné pour obtenir les tons les plus splendides. On réduisait des cornalines en poudre : quand les Occidentaux eurent poussé leur commerce jusqu’en Chine, on leur payait le bleu de cobalt deux fois son pesant d’or. Les ouvriers en volaient, de même qu’un peintre grec, auquel les couleurs étaient fournies, lavait cent fois son pinceau, afin d’emporter le soir une eau riche en sédimens. Toutefois les empereurs ne se laissaient point décourager. Ils recommandaient avant tout le cobalt qui offrait des points rouges comme du cinabre, ensuite celui qu’émaillaient des étincelles d’argent. L’émail était-il ponctué de bleu ou irisé comme la glace, les vases étaient réservés aux mandarins et s’appelaient vases des magistrats. Chaque variété de couleur avait un nom qui en rehaussait la noblesse. Au blanc de clair de lune correspondait le rouge de soleil avant la pluie. Le noir semé de perles jaunes était le privilège de la fabrique de Kien ; celle de Kiun avait le secret de l’émail brun comme de l’encre. Les comparaisons les plus inattendues aidaient à distinguer la délicatesse des nuances. Les amateurs ne confondaient point le bleu d’oignon avec le bleu de prune, ni le jaune d’anguille avec le jaune poil de lièvre. Tel violet avait pour type la peau d’aubergine, tel vert la peau de serpent. Je m’arrête, car la subtilité des critiques se portait des assimilations les plus poétiques aux plus triviales.

L’industrie se soutient par les nouveautés. Les Chinois tiraient parti de tout, et tournaient parfois en beautés les défauts mêmes de la fabrication. Lorsque l’émail se refroidit plus vite que la pâte qu’il recouvre, il tressaille, se fend et forme mille réseaux. C’est ce qu’on appelle craquelage. Les artisans s’attachèrent à produire artificiellement ce désordre ; remplissant ensuite toutes les veines d’une cou leur rouge ou noire, ils obtenaient des dessins aussi charmans que les écailles d’une truite. Les Européens n’admirent pas moins ces accidens heureux, et les paient plus cher qu’une œuvre de talent.

D’un l’on vif et uniforme à des ornemens de couleur variée la transition était naturelle. De bonne heure on décora les vases : on y peignait surtout des fleurs bleues. Les fleurs jouent un grand rôle dans la vie des Chinois. Elles sont, avec le vin extrait du riz, leur principale source de jouissances. Elles inspirent leurs poètes ; elles