Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendent poètes, surtout pendant l’attendrissement d’une légère ivresse, les plus simples lettrés. Une pivoine, un poirier fleuri, bien plus les chatons d’un saule transportent les sensibles Chinois. Leurs comparaisons les plus brillantes sont empruntées aux jardins. La jeune fille est une fleur de pêcher, ses sourcils ressemblent à la feuille du saule printanier, son corps est formé des vapeurs qui s’élèvent le matin sur les arches du pont. Un homme éloquent est la marguerite des haies ; ses vers, s’ils ont sept syllabes, s’appellent des rejetons fleuris qui s’élèvent sept à sept ; il deviendra à coup sûr une plante des jardins académiques, c’est-à-dire un académicien. Le goût des Chinois pour les fleurs est parfois touchant, parfois puéril ; cependant il dénote toujours des âmes douces et qui se contentent d’émotions non cherchées. Leurs poésies et leurs romans trahissent sans cesse ce culte de la nature. M. Théodore Pavie a traduit un conte intitulé les Pivoines, dont le héros est un vieillard passionné pour les fleurs. Enlevé par les fées, il devient immortel, parce qu’il a défendu au péril de ses jours un massif de pivoines. Nous ne serons donc point surpris de retrouver dans l’art des Chinois aussi bien que dans leur littérature le reflet de leurs mœurs. Les fleurs tiennent la première place sur leurs vases, de même que la représentation de l’homme tient la place principale sur les vases grecs. Les Hellènes ont fait les dieux à leur image, et les Chinois se jugent volontiers à l’image des fleurs. Si les premiers ont été fort téméraires, les seconds ne sont-ils pas encore plus présomptueux ?

Les vases sont donc couverts d’une profusion de fleurs, tantôt imitées, tantôt fantastiques. Leur flore est infinie parce qu’elle est surtout chimérique, et, pour ne s’épuiser jamais, ces créations ne sont pas moins charmantes. Les essais furent longtemps grossiers, à en croire les historiens. Ils ne citent aucune œuvre distinguée dans ce genre avant la dynastie des Song, qui régna de l’an 960 à l’an 1279. Alors même certaines provinces, dont je n’ose citer les noms trop étranges pour nos oreilles, étaient encore arriérées. Quant aux fabriques célèbres, elles savaient non-seulement peindre les fleurs, mais les mouler, les graver en creux, les ciseler en ; relief. Déjà la convention avait inspiré des types remarquables, et les artisans se plaisaient à reproduire une fleur à grands ramages qu’ils comparaient au phénix volant. Les figures humaines, les scènes de la vie familière, les animaux, les monstres surtout commencent à se mêler au règne Végétal. Tous les efforts cependant se dirigent vers l’éclat des couleurs et la finesse du dessin ; ni les produits de l’art ni les ouvrages des critiques n’attestent le moindre souci de la forme. Les porcelaines de Tiao étaient vantées, il est vrai, pour la beauté de leur forme sous le règne des Song ; mais comme les historiens chinois