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libres apportées de la Chine. Elles représentent quelquefois deux personnages qui ne ressemblent que par un seul point à l’Amour et à Psyché, à Mars et à Vénus dans les filets de Vulcain : ai-je besoin de dire que ce point de ressemblance n’est pas la beauté ? Mais on trouve le plus souvent un magot entre deux belles ; par là nous sommes ramenés aux mœurs de la Chine, ou, pour parler juste, à ses habitudes littéraires. La bigamie n’est point un cas pendable aux yeux des Chinois, ils l’estiment même (on ne saurait pousser plus loin la galanterie) une condition de bonheur parfait ; je suppose, bien entendu, que leurs romans sont l’expression sincère de ce qu’ils rêvent. Dans les romans, deux jeunes filles s’aiment tendrement, elles se promettent d’épouser le même mari, afin de ne jamais se quitter. Pendant ce temps, le héros, qui est toujours un jeune bachelier, les rencontre séparément, les aime d’un amour égal, quoique différent. Après mille traverses, les trois amans sont réunis par le même mariage, ils vivent dans une harmonie admirable : Pythagore les eût comparés aux trois côtés d’un triangle équilatéral. Le roman des Deux Cousines, traduit par M. Abel Rémusat, est la démonstration la plus remarquable de cette subtile théorie. Le rapport qui existe entre les débauches du pinceau et les créations idéales de la littérature prouve une fois de plus combien les arts et les lettres se tiennent par des liens étroits.

Une autre mode, beaucoup plus innocente, fit fureur dans la première moitié du XVe siècle. On était passionné pour les combats de grillons ; les Athéniens le furent bien pour les combats de coqs et de cailles ! Les Chinois avaient la patience de dresser leurs grillons, de même que certains spéculateurs européens dressent de petits insectes qu’ils nourrissent de leur sang. De l’an 1426 à l’an 1437, un fabricant nommé Lo ornait ses coupes de grillons belliqueux. À la même époque, deux sœurs de la famille Siéou surent profiter aussi de l’engouement public ; seulement, au lieu de peindre leurs noirs lutteurs, elles les ciselaient dans la pâte. De l’an 1468 à l’an 1487, on signale encore deux ouvriers qui excellaient à représenter une poule avec ses poussins, pleins de vérité et de mouvement. Kao-than-jin les peignait sur des jarres, Ko-tchou sur des tasses à boire. La variété des formes, la finesse du travail, la pureté des couleurs, recommandaient les produits de ces artisans.

Déjà cependant les fabricans de porcelaine cessent de chercher l’originalité ; ils s’attachent à imiter les anciens modèles. Le XVIe siècle est le temps de ces patientes contrefaçons ; c’est aussi la limite d’une perfection qui tourne insensiblement à la décadence. Un art qui ne regarde que son passé oublie bientôt son avenir. Tous les artisans qui acquirent alors une grande renommée la durent à la fidèle reproduction des anciens vases. On accourait, disent les historiens,