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coton, et les autres intérêts que favorise par privilège le système prohibitif, se réclament avec courage et persévérance de ce principe salutaire toutes les fois que leurs droits légitimes seront méconnus, rien de mieux : ce n’est pas nous qui serions les derniers à joindre alors nos faibles efforts aux leurs ; mais qu’ils renoncent à l’espoir de faire durer un régime qui est contraire à l’égalité des droits et qui entrave la marche du travail national, sous prétexte de le protéger. Qu’ils cessent de prétendre que ce régime est au profit des ouvriers. En cette matière comme en toute autre, l’intérêt des ouvriers ne sera garanti que par le triomphe du principe d’égalité, par la victoire définitive des idées du droit commun. Et n’est-il pas puéril de soutenir que si l’on implante dans la société un principe d’inégalité, la main qui en recueillera les fruits sera celle du pauvre et du faible ?

Les prohibitionistes ont bien prévu qu’on leur demanderait pour quoi ils ne se contentaient pas de droits protecteurs. À cette objection, ils répondent, par l’organe de leur chef, que la prohibition est bien préférable, qu’avec la prohibition on a contre la marchandise étrangère des moyens d’action bien autrement efficaces, la recherche à l’intérieur, c’est-à-dire les visites domiciliaires escortées de la dénonciation soldée, et qui plus est, les visites à corps, par lesquelles on soumet à l’inquisition les parties les plus secrètes du vêtement. À cela, il est vrai, on réplique avec avantage que ce sont précisément ces formes violentes qui rendent odieuse la prohibition, si bien qu’aucun législateur, de sang-froid, n’a voulu l’adopter, qu’en effet elle ne s’est introduite dans notre tarif sur de grandes proportions que deux fois, alors que la passion publique était surexcitée, sous Louis XIV et sous la république française, et que dans ces deux cas elle s’y est établie à titre de mesure de guerre. On représente que les visites à corps et la dénonciation soldée, pour un objet pareil, sont des extrémités que repousse la morale publique ; que la liberté du domicile est un des droits sacrés du citoyen chez les peuples civilisés, à ce point que lors même qu’il a été commis un grand crime, comme serait un parricide ou un attentat contre la sûreté de l’état, le code d’instruction criminelle refuse au procureur impérial de procéder aux visites domiciliaires autrement qu’avec l’autorisation préalable et expresse du juge d’instruction. Comment donc peut-il se faire que les visites domiciliaires s’exécutent dans les formes les plus sommaires, sans l’intervention d’une justice protectrice, lorsqu’il ne s’agit que d’un intérêt privé, comme la prétention d’un manufacturier d’écarter absolument la concurrence étrangère ? Ces observations, qui pour d’autres auraient quelque poids, n’émeuvent pas nos prohibitionistes ; ce qu’il leur faut à tout prix, c’est que la prohibition subsiste, qu’elle soit une