Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rivale formidable pour la plupart de ses grandes productions. M. Mimerel a fait son roman quand il a supposé que l’Angleterre visait à nous réduire à l’état de producteurs de blé et de viande pour nourrir à bon marché ses populations ; il l’a fait, enrichi d’une dose de merveilleux plus forte encore, quand il a cherché à effrayer les manufacturiers français par la perspective d’un complot qui devrait s’organiser en Angleterre, à l’effet de livrer à perte, sur notre marché, des montagnes de produits manufacturés pour écraser nos fabriques. Je demanderai la permission de faire le mien à mon tour. Je supposerai donc que le gouvernement, qui en cela ne serait que le fidèle observateur des immortels principes de 1789, se prononce ouvertement, comme l’ont fait successivement les gouvernemens d’Angleterre, de Piémont, de Suède, de Hollande, pour la liberté du commerce, mais que, pour procéder à l’application avec la mesure et la gradation qu’il convient d’apporter à toute grande manœuvre, il se borne, quant à présent, à l’admission en franchise des matières premières, en donnant une acception étendue à cette dénomination, ainsi que des outils et machines, et qu’il soumette provisoirement les produits manufacturés, particulièrement les tissus, à des droits qui aillent jusqu’à 25 et 30 pour 100, et même au-delà, pour commencer. Remarquons que ce serait revenir à plusieurs égards, pour les matières premières notamment, au tarif du premier empire. Mon hypothèse n’est donc pas précisément chimérique, quoique la note du Moniteur du 17 octobre la laisse, quant à présent, fort peu probable. Dans ces conditions nouvelles, quelles seraient les situations respectives de l’industrie française et de l’industrie britannique ?

En prenant ces mots les matières premières dans un sens large, qui a été accepté par l’administration française dans quelques circonstances, l’immunité s’étendrait aux substances tinctoriales et aux drogues employées dans la teinture, qui sont nombreuses ; elle s’appliquerait aussi aux filés de coton ainsi qu’à la fonte et au fer. La conséquence de la libre entrée des filés de coton par exemple, ainsi que des matières nécessaires à la teinture, serait que la France bientôt partagerait, dans une forte proportion, avec l’Angleterre, la fourniture du marché du monde en tulles, en toiles de coton teintes ou imprimées, pour ne rien dire des mousselines et des broderies. Nous fournissons déjà à l’étranger de certaines quantités de ces articles ; mais si ces industries avaient la faculté de se procurer des filés de coton aux mêmes conditions que les Anglais, leur puissance déportation serait indéfinie. La France l’a une supériorité naturelle, celle du goût. Les dessins des tulles français sont meilleurs, de même que ceux de nos cotonnades teintes ou imprimées, et pour ces dernières, la France l’emporte par le choix et l’harmonie des couleurs ;