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perte non pas seulement pour l’approvisionnement du marché français, mais pour la fourniture accoutumée des marchés étrangers et du marché anglais lui-même, car du moment qu’on saurait que les marchandises anglaises se donnent pour, rien ans les entrepôts français, c’est dans ces entrepôts que de toutes parts, et de l’Angleterre même, le commerce viendrait les acheter. La somme qui devrait être perdue dans une entreprise érigée sur de semblables bases est tout simplement incalculable.

Faisons cependant une concession. Admettons qu’un projet aussi insensé, hérissé d’autant d’impossibilités, puisse séduire l’esprit pratique et calculateur des manufacturiers britanniques. Voilà donc la spéculation montée ; elle va se mettre à opérer ; mais rien ne serait plus facile que de la faire manquer avant même qu’elle eût franchi les préliminaires, car un pareil dessein ne peut être mis à exécution sans d’immenses préparatifs, tant pour faire souscrire des uns et des autres la somme énorme qu’il y faudrait sacrifier que pour monter la fabrication sur les proportions qu’exigerait la fourniture, même partielle, d’un marché aussi vaste que la France par-delà ce que fabrique déjà l’Angleterre. La France en serait donc avertie d’avance, et notre gouvernement, qui apparemment ne serait pas le complice de la machination, la ferait aussitôt avorter. Il n’aurait en effet qu’à user du pouvoir qui lui appartient, d’élever le montant des, droits de tout ce qu’il faudrait, pour guérir de leur fantaisie ces spéculateurs d’une nouvelle espèce. La faculté dont il est investi va jusqu’à faire, inter venir par décret la prohibition même.

Mais où donc M. Mimerel a-t-il aperçu la preuve que le commerce britannique nourrit de semblables pensées ? La France exceptée, la prohibition est abolie partout à peu près, et dans plusieurs pays, en Belgique, en Hollande, en Piémont, dans le Zollverein, aux États-Unis, les droits sur la plupart des produits anglais sont plus ou moins modérés. Parmi ces nations, il en est dont l’Angleterre redoute la rivalité politique ou manufacturière pour le moins autant que celle de la France : je citerai les États-Unis. Or s’est-il jamais tenté contre eux rien qui ressemblât, même de loin, à cette conspiration qui inspire tant d’épouvante à M. Mimerel ? A qui en a-t-il donc pour prétendre que cette épée de Damoclès serait suspendue sur notre tête du moment que nous aurions aboli la prohibition ?

La vérité au sujet des forces respectives de l’industrie française et de l’industrie anglaise, c’est que si la France avait un tarif plus conforme à la raison ainsi qu’aux indications de la vaste expérience qui s’est accomplie depuis dix ou quinze ans chez les autres peuples, Il n’est aucune palme qu’elle ne fût assurée d’obtenir sur le marché général du monde, et la perfide Albion elle-même aurait alors une