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M. Grimes établissait que les états avaient un droit manifeste à prendre des mesures pour protéger leurs anciens citoyens ; il réclamait donc officiellement, au nom de l’état qu’il administrait, « qu’on assurât aux anciens citoyens établis dans le Kansas la jouissance de leur propriété, de leur liberté et de leurs droits politiques. » M. Grimes terminait par cette menace : « S’il arrivait que notre réclamation demeurât sans effet, il n’est point douteux, à mon avis, que le moment serait venu d’appliquer le principe posé par M. Madison dans les résolutions de Virginie de 1798 ; ce serait le devoir des états d’intervenir pour arrêter les progrès du mal dans le territoire du Kansas. » Rien ne pouvait être plus contraire à la constitution que la démarche de M. Grimes et la déclaration qui terminait sa lettre. Il était impossible d’admettre qu’un gouverneur d’état se permît de censurer l’exercice que le président faisait de son pouvoir. S’il était loisible à un état de réunir ses milices et d’intervenir dans les affaires d’un état voisin, le pacte fédéral ne serait qu’une lettre morte et la guerre civile sortirait de tous les conflits d’opinion. C’est ce que le secrétaire d’état, M. Marcy fit ressortir dans une réponse amère et hautaine qu’il adressa à M. Grimes, au nom du président, dans les premiers jours d’octobre. La démarche du gouverneur d’Iowa n’en demeure pas moins un signe manifeste du degré d’exaspération auquel les esprits sont montés ; elle montre combien il s’en est peu fallu que l’animosité qui règne aujourd’hui entre tes adversaires et les partisans de l’esclavage ne mît aux prises le nord et le sud de la confédération.

Nous avons voulu conduire sans interruption l’histoire du Kansas jusqu’à la date la plus récente ; il nous faut revenir sur nos pas pour rapporter un fait qu’il serait impossible de passer sous silence. L’attentat commis sur le sénateur Sumner a eu une influence considérable sur les esprits, parce qu’il a froissé violemment toutes les susceptibilités du nord ; chaque démêlé en ravivera désormais le souvenir, et il demeurera un de ces reproches sanglans que les partis ne manquent jamais de se jeter à la face. M. Sumner, sénateur pour le Massachusetts, et M. Seward, sénateur pour New-York, connus tous deux pour appartenir aux free-soilers, ont soutenu dans le sénat tout le poids des discussions relatives au Kansas. Dans un discours mémorable, M. Sumner avait fait l’historique de la question, et il avait qualifié avec sévérité, quoique en termes parlementaires, la conduite de M. Atchison, du Missouri, et de M. Butler, de la Caroline du sud. Peu de jours après, comme M. Sumner était demeuré à sa place, après la levée de la séance, pour écrire quelques lettres, un des députés de la Caroline du sud, M. Brooks, s’approcha de lui par derrière, en lui demandant pourquoi il s’était permis d’insulter M. Butler, son parent, M. Sumner se retournas et, avant qu’il put répondre,