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M. Brooks lui asséna sur la tête un coup de canne qui le renversa sans mouvement. Brooks continuait à frapper son adversaire à terre, lorsqu’il fut arrêté et entraîné par les personnes présentes. Cet acte inqualifiable causa une émotion indescriptible : les deux chambres nommèrent une commission d’enquête, et l’explosion de la désapprobation publique fut tellement vive, que M. Brooks se crut obligé de donner sa démission. Néanmoins, les journaux de la Caroline du sud furent loin de partager l’indignation générale ; ils déclarèrent que tous les abolitionistes méritaient d’être traités comme l’avait été M. Sumner, et ils invitèrent les électeurs à réélire M. Brooks. Celui-ci, dans une lettre publique, déclara qu’il n’accepterait d’être réélu qu’autant que sa nomination impliquerait de la paix de ses constituans l’approbation de sa conduite vis-à-vis de M. Sumner. Il fut nommé à l’unanimité : bien plus, une souscription fut ouverte dans l’état pour lui offrir une canne d’honneur, et sur la pomme de cette canne, le comité fit graver les mots : Frappe-le encore (hit him again). Ailleurs on lui fit présent de vaisselle plate et de coupes d’argent ; des meetings lui votèrent des adresses de félicitation, des comités de dames se formèrent pour lui broder des écharpes, des coussins, etc. Cette glorification d’un acte brutal, d’une insulte grossière à la souveraineté d’un état libre dans la personne de son représentant, fut ressentie comme un outrage de plus par la population du Massachusetts et par tous les hommes du nord. Elle a valu au colonel Fremont autant de voix peut-être que les massacres du Kansas.


III

Le moment était venu en effet pour les partis de désigner leurs candidats à la présidence dans l’élection du 4 novembre 1856. Cette élection avait une importance extrême, car un changement dans l’administration fédérale pouvait avoir, pour conséquence de trancher dans le Kansas la lutte en faveur de la liberté. Les délégués des diverses fractions du parti démocratique se réunirent à Cincinnati et parvinrent, après de longues discussions, à se mettre d’accord sur les garanties qu’ils exigeraient des aspirans à la présidence. Trois candidats furent mis en avant : le président en exercice, — M. Douglas, de l’Illinois, — et M. James Buchanan, ancien secrétaire d’état sous M. Polk, et tout récemment encore ministre à Londres. M. Pierce fut écarté immédiatement à cause du discrédit dans lequel il est tombé. Si ses amis avaient même prononcé son nom, c’était dans l’espoir bien faible que les voix de M. Douglas et de M. Buchanan se balanceraient au sein de la convention, et qu’une majorité ne pouvant se former, M. Pierce passerait entre ces deux candidats, comme il avait passé en 1852 entre M. Buchanan et le général Cass. M. Douglas