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l’auteur excite plus de surprise que d’intérêt. M. Gérôme doit comprendre maintenant qu’il s’est trompé en suivant son caprice, et sentir qu’il n’a pas attribué assez d’importance à la partie poétique. Le dévouement de Belzunce n’est pas une donnée qu’on puisse traiter en ne songeant qu’à la forme des figures. Il faut absolument émouvoir le spectateur, et pour atteindre ce but, l’habileté matérielle ne suffit pas. Si M. Gérôme veut représenter des scènes religieuses, j’espère qu’il changera de méthode, et prendra souci de l’émotion.

La mort de saint Louis, saint Louis portant la sainte épine à la Sainte-Chapelle, ont fourni à M. Leloir l’occasion de montrer le caractère solide de ses études. Il connaît la forme du modèle; il sait ajuster une draperie. Ce qui lui manque ne s’apprend dans aucun atelier; c’est l’inspiration. Les maîtres les plus habiles seront toujours impuissans à susciter des facultés nouvelles chez les élèves les plus studieux, les plus attentifs. M. Leloir n’a pas su donner à saint Louis l’accent mystique et austère qui lui appartient. Un roi qui construit une église pour garder une épine de la couronne du Christ doit porter sur son front l’empreinte d’une foi profonde. Si son regard, si son attitude ne révèlent pas clairement la croyance qui gouverne toutes ses actions, ce n’est pas saint Louis que nous avons devant nous, c’est un personnage ordinaire, et l’action ne se comprend plus. M. Leloir me paraît se contenter de la précision des contours. Pourvu qu’il donne aux membres la longueur qui leur convient, à la figure un mouvement naturel, son ambition est satisfaite. C’est trop de modestie ou trop d’indolence. La peinture religieuse demande des efforts d’un ordre plus élevé.

Saint Charles Borromée pendant la peste de Milan, la Mort de saint Charles Borromée, attestent chez M. Jobbé Duval un vif désir de parler à la pensée en même temps qu’aux yeux. On sent que l’auteur se préoccupe du côté pathétique. Les deux scènes qu’il a représentées, envisagées à ce point de vue, méritent de grands éloges. Les figures que nous avons devant nous ne sont pas sans reproche, si l’on considère l’exécution. Dans plusieurs parties, le pinceau manque d’assurance; ce défaut est amplement racheté par la sincérité de l’expression. M. Jobbé possède ce qu’on n’apprend nulle part, un sentiment vrai, un esprit droit; ce qui lui manque, il peut l’apprendre. En étudiant la nature, il verra qu’il ne dessine pas encore d’une manière assez sévère, qu’il n’écrit pas les contours assez nettement; mais il marche dans une bonne voie. Tandis que la plupart des peintres contemporains ne s’attachent qu’à la forme, il s’attache à la pensée. Quand il connaîtra mieux la partie matérielle de son art, il y a lieu d’espérer qu’il ralliera de nombreux