Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque universelle de l’Angleterre, — de cette Angleterre dont on décrit les conquêtes en l’appelant assez bizarrement la première des puissances musulmanes.

À quel propos ces polémiques passionnées et violentes ? Parce qu’on n’est pas d’accord sur Bolgrad, parce que le gouvernement français ne voit pas une nécessité de premier ordre dans l’occupation des principautés et de la Mer-Noire. Tout compte fait, il reste prouvé qu’un souverain qui est en mésintelligence avec l’Angleterre, comme le shah de Perse, ne peut envoyer un ambassadeur à Paris ; que si la France entend professer une politique indépendante, elle est menacée de catastrophes inévitables ; que l’Angleterre a des droits incontestables à la domination universelle, et qu’à ce titre ses interprétations diplomatiques doivent faire loi. Il reste enfin démontré qu’un membre du gouvernement qui soutient simplement et librement un avis, comme l’a fait le ministre des affaires étrangères, M. le comte Walewski, que ce membre du gouvernement doit être éloigné des conseils : c’est là ce qui était demandé il y a quelques jours. Cela n’empêche nullement les journaux anglais de professer une politique d’union et de concorde ; seulement ils se servent de singuliers procédés pour cultiver cette union et pour la recommander à la France : on ne peut dire à coup sûr qu’ils la présentent sous son aspect le plus séduisant. Ce serait d’ailleurs une méprise étrange de chercher dans ces excentricités d’une humeur querelleuse la mesure de ce que peut penser ou méditer le gouvernement anglais lui-même, d’y rien voir qui puisse sérieusement porter atteinte au principe de l’alliance. Aujourd’hui comme hier, l’alliance est la même, utile et féconde, cimentée par deux années de lutte commune, assez forte pour braver les bourrasques passagères : elle est nécessaire, et c’est ce qui la fera subsister ; mais si elle satisfait à la fois aux intérêts supérieurs des deux pays, il est certain qu’elle ne peut être pratiquée qu’avec une pleine et souveraine indépendance, avec une liberté entière pour les deux gouvernemens de professer des opinions différentes, sans rentrer incessamment dans une guerre de défiances, de soupçons et de récriminations. Parce que l’Angleterre a des vues particulières sur le sens d’un traité, sur des obligations solidairement contractées, sur ce qu’exigent ses propres intérêts, ce n’est pas une raison pour que la France souscrive absolument à ces interprétations et à ces vues. On peut le dire, de notre côté ce serait même une autre façon de compromettre l’alliance que de s’appliquer, comme le font certains journaux français, à suivre trop fidèlement les directions de la pensée anglaise. C’est là l’unique morale à tirer de ce petit épisode de l’histoire contemporaine, plus bruyant que profitable aux questions qui en sont le prétexte.

Au milieu de ces diversions, en effet, que deviennent les affaires elles-mêmes ? Elles suivent leur cours, elles marchent, ou plutôt elles ne marchent pas ; elles se ressentent de ces dissidences des cabinets dont les polémiques sont l’écho retentissant, et on a le spectacle assez bizarre d’une paix qui existe en fait, mais qui n’a point la consécration du droit, puisque le traité de Paris reste provisoirement suspendu par suite de l’inexécution de quelques-unes des clauses les plus essentielles. Chose singulière ! l’Autriche et l’Angleterre, dans la politique qu’elles ont suivie, ont eu évidemment l’intention de se prémunir contre la Russie, de prendre des mesures