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comme une goutte d’indigo dans une jatte de lait. Dans l’Assunta de Venise, les anges qui font cortège à Marie et lui ouvrent les cieux sont revêtus d’une lumière dorée. M. Couture, qui s’est donné pour mission de renouveler la peinture, s’est bien gardé de se traîner dans l’ornière de Titien. Après avoir fait à sa manière une femme et un enfant réels, il a voulu faire aussi pour les anges des robes de fin réelles. Cette prodigieuse dépense de blanc de plomb paraît exciter l’admiration d’un grand nombre de spectateurs, et je consentirais à partager leur sentiment, si je pouvais oublier l’importance de l’harmonie; mais il m’est impossible d’accepter une tache bleue sur un fond blanc comme un tour de force digne des plus grands éloges. J’ai la faiblesse de préférer le procédé vulgaire employé par Titien.

La Vierge étoile des marins et la Vierge consolatrice sont dépourvues comme l’Assomption de tout caractère poétique. Je comprends pourtant qu’on les mette au-dessus de la composition principale, car ces deux données sont moins difficiles à traiter que l’assomption. Une tempête, un naufrage, des enfans malades, des femmes en prière n’exigent pas une aussi grande dépense d’imagination que la Vierge-mère ravie aux cieux. Il n’est pas absolument défendu de concevoir et d’écrire ces deux données dans un style élevé. Pourtant, comme la tempête et le naufrage, la souffrance et la prière appartiennent à la vie réelle, le spectateur est naturellement plus indulgent pour ces deux compositions.

Je ne veux pas négliger de consigner ici une opinion que j’ai recueillie, et dont je n’entends pas m’attribuer l’honneur. J’étais assis derrière le maître-autel de Saint-Eustache, je regardais la chapelle de la Vierge et j’écoutais les paroles échangées autour de moi. Voici ce que j’ai entendu : « A mon avis, disait un de mes voisins, M. Couture a fait preuve d’une grande habileté dans l’Étoile des marins et dans la Vierge consolatrice. Dans l’Assomption, la Vierge est une figure manquée; dans l’Étoile des marins, la Vierge est absente; dans la Vierge consolatrice, il n’y a qu’une statue de pierre. Il a compris que la Vierge-mère défiait tous les efforts de son pinceau; en rusé compère, il a évité cette figure dans les deux compositions latérales. » Cette forme de jugement me paraît à la fois ingénieuse et sensée. Ainsi, dans la pensée de mon voisin (ce n’est pas moi qui parle), les deux figures les plus heureuses de la chapelle de la Vierge seraient celles que M. Couture a trouvé moyen de supprimer. C’est un nouveau genre de mérite, le mérite par élimination. Je crois que M. Couture vise plus haut et n’acceptera pas l’avis de mon voisin.

Les chapelles de Saint-Eustache, plus nombreuses que celles de Saint-Séverin, offrent moins d’intérêt, et me forceraient à répéter ce