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que j’ai dit, si j’essayais d’analyser les peintures qui les décorent. Les artistes chargés de ce travail sont pour la plupart d’anciens pensionnaires de Rome. A voir ce qu’ils ont fait, on ne s’en douterait pas, on ne croirait pas qu’ils ont passé cinq ans en Italie. Les compositions signées de leur nom ont le malheur très grand de n’exciter aucune contradiction. Tout est combiné de façon à n’étonner, à ne mécontenter personne. Le spectateur, en revoyant ce qu’il a vu plusieurs fois, n’éprouve pas le besoin de s’arrêter longtemps. C’est là malheureusement le caractère habituel des ouvrages exécutés par les pensionnaires de Rome. Ils réussissent assez bien à éviter les défauts qui effaroucheraient le goût, et s’abstiennent d’inventer avec une prudence que je ne saurais approuver. En présence de ces compositions faites et refaites avant la naissance des derniers signataires, je me surprends à regretter la présomption et la témérité des peintres qui n’ont rien vu. C’est une belle chose que la mémoire, mais il faut savoir en profiter sans la confondre avec l’imagination. Se souvenir et inventer sont deux facultés profondément diverses, et les pensionnaires de Rome paraissent l’ignorer. Ce qu’ils ont vu les embarrasse, au lieu de les aider. Il serait donc parfaitement inutile de discuter la valeur des compositions dont ils ont décoré les chapelles de Saint-Eustache. Les figures sont en général d’un dessin assez pur. Quant à la partie expressive, elle est à peu près nulle. Pour ne rien risquer, les auteurs se résignent trop souvent à ne rien dire. C’est abuser de la sagesse. Je dirais qu’ils sont habiles, si l’habileté se réduisait au maniement du pinceau; mais à quoi bon connaître tous les mots d’une langue et la manière de les assembler, quand on n’a pas la force de produire une pensée nouvelle, quand on ne trouve pas à exprimer autre chose qu’un souvenir familier au plus grand nombre des spectateurs?

Je dois pourtant appeler l’attention sur la chapelle dédiée à saint Eustache, dont la décoration n’est pas d’un pensionnaire de Rome. Dans cette chapelle, M. Le Hénaff, élève de M. Gleyre, a représenté la conversion et le martyre du saint titulaire avec un grand bonheur d’expression. Sans doute on peut relever dans les figures plus d’un contour qui demanderait plus de pureté; il y a du moins dans ces compositions un caractère personnel. On sent que l’auteur s’est pénétré de l’esprit de la légende et s’est efforcé de la traduire fidèlement. L’étonnement du soldat païen écoutant les paroles mystérieuses qui semblent prononcées par un cerf est rendu avec naïveté. La résignation du soldat converti offrant sa vie en témoignage de sa foi est exprimée dans un style plein de grandeur. Ces deux compositions permettent de croire que M. Le Hénaff est appelé à traiter avec succès les sujets religieux. C’est un nom nouveau, et je suis