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des lettres une industrie où il s’agit seulement de produire vite pour vendre beaucoup, c’est là une dégradation qui ne s’était point vue encore, et dont il était réservé à notre siècle d’offrir l’affligeant spectacle. On peut reprocher à M. de Balzac d’avoir à la fois, par l’exemple et par le précepte, encouragé ce honteux trafic. Après avoir demandé d’abord du pain à sa plume, il lui demanda la for tune, le luxe avec ses jouissances et ses vanités. Il le fit avec cynisme ; et nul peut-être en ce temps-ci n’a développé plus effrontément ces tristes théories qui font de la littérature une marchandise et de l’homme de lettres un fabricant. Quand le sens moral fait défaut, il y paraît en toutes choses : la dignité de l’écrivain tient de plus près qu’on ne croit à la moralité de l’homme.

Il semble que M. de Balzac ait eu l’ambition de recommencer à sa manière le rôle demi-littéraire, demi-industriel et politique, que joua Beaumarchais à la fin du siècle dernier. Ce qu’il avait de commun avec l’auteur du Mariage de Figaro, c’était sans doute la passion de la popularité unie à la passion de la fortune et à une certaine fièvre de spéculations et d’aventures. Pour tout le reste, combien peu il lui ressemble et combien il lui est inférieur ! Avec tout son esprit, Beaumarchais est plein de sens : il a le génie des affaires autant que celui des lettres ; si son imagination est ardente et mobile, son jugement est ferme et droit. Aventureux, mais nullement chimérique, il porte dans ses plus grandes témérités une finesse, une sagacité, un sang-froid admirables. Il eût été capable d’un rôle politique, Ajoutons que les plus généreux sentimens et le plus noble patriotisme se mêlaient chez lui aux ardeurs de la spéculation et aux calculs du négoce. Enfin, s’il mena de front les lettres et les affaires, jamais du moins il ne mit les affaires dans les lettres, jamais il ne spécula sur sa plume et ne battit monnaie avec son talent. Ce qui l’élève et le grandit surtout, c’est la part qu’il a dans le mouvement intellectuel et politique de son temps : il est le soldat d’une cause qu’il aidera à triompher ; il est le représentant du tiers-état, qui réclame sa place dans le gouvernement des choses publiques ; il continue Voltaire, et, sans être un révolutionnaire, il est un des champions de l’esprit nouveau.

Quelle est la cause sociale, religieuse, philosophique où politique qu’ont servie ses prétendus imitateurs ? Sous quel drapeau, pour quelle idée ont-ils combattu ? Pour rien autre chose que pour leur vanité, pour leur réputation du jour et leur fortune du lendemain. Dénués de convictions, indifférens aux principes, étrangers à tous les nobles enthousiasmes comme à tous les dévouemens, ils n’ont aimé, adoré, servi que leur propre personnalité. Des ambitions étranges se sont cependant emparées d’eux ; un vertige d’orgueil leur a monté au cerveau. Ce n’est pas en vain qu’ils parlaient de liste civile et de