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et résoudre les détails multiples inséparables de la question d’éducation[1]. La part du lion, dans les allocations du trésor public, est employée, et c’est là un tort grave, à subventionner des établissemens dont l’enseignement est d’un ordre trop élevé. Le calcul différentiel, Shakspeare, Byron, l’économie politique, nourrissent avec raison, et nourriront longtemps encore de leur manne fortifiante les jeunes esprits qui fréquentent les universités européennes ; mais cette nourriture spirituelle raffinée est-elle bien celle qui convient à de jeunes sauvages, chez lesquels les traditions de la maison paternelle n’ont tendu qu’à développer les habitudes et les instincts immuables de l’Inde, tels aujourd’hui qu’ils étaient aux jours du Christ, à la conquête de Bacchus, aux temps du déluge ? Il existe, on n’en saurait douter, entre l’éducation de la famille et celle de l’école des affinités certaines que l’on ne viole pas sans danger. Voyez ce jeune babou qui étudie un des problèmes les plus modernes et les plus compliqués de l’économie politique : pour vêtement, il n’a qu’un simple pagne ; une cabane de bambou lui sert d’abri ; près de lui, sur une table fume une lampe, dont la jumelle pouvait éclairer la tente de Seth ou de Japhet. Doit-on s’étonner que tous ces élémens discordans n’arrivent à produire dans l’ordre moral rien autre chose que ce phénomène d’apparente civilisation dont on trouve tant d’exemples chez les riches natifs ? Pour la plupart, en effet, les heureux de l’Inde, possesseurs de magnifiques palais, de somptueux ameublemens, d’une riche argenterie, vivent dans leur vie intime comme vivaient leurs pères, sans soupçonner même l’usage de toutes ces belles choses.

En appelant de jeunes sauvages, tout frais émoulus de la sauvagerie, à faire les hautes études qui conviennent aux enfans de l’Europe civilisée, l’on a violé les lois de la logique et de l’équilibre ; on a commencé par le faîte l’édifice de l’éducation en ces contrées lointaines, et il ne faut pas s’étonner s’il chancelle de toutes parts sur ses bases. L’expérience a prouvé, et cela presque sans exception, que les lauréats des collèges indiens, de jeunes lettrés qui prendraient rang avec honneur dans les universités de l’Europe, retombent, au sortir du collège, dans les pratiques dégradantes de religions dont leur esprit éclairé fait intérieurement justice. Les collèges de l’Inde reçoivent de fanatiques idolâtres, ils rendent des hypocrites. Est-ce la ce que l’on peut appeler civilisation, progrès ? L’a venir de la civilisation dans l’Inde n’est pas dans ce haut enseignement factice ; il est dans les écoles primaires natives, sur lesquelles peut seul s’étayer un système d’éducation à larges bases, capable de

  1. Des dispositions récentes ont mis fin à cet état de choses. Les comités ont été abolis, et aujourd’hui un fonctionnaire spécial est appelé dans chaque présidence à diriger le département de l’éducation.