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régénérer le pays. C’est en purifiant l’atmosphère impure qu’exhalent les écoles indigènes, c’est en encourageant les maîtres par des secours libéraux, en répandant à profusion des livres empreints d’une saine morale, en organisant même une hiérarchie parmi ces pédagogues barbares et ignorans, que l’on servira utilement dans l’Inde la cause du progrès. Ce qui étonnera quiconque ne sait pas à quel degré tout système empreint d’organisation militaire est antipathique au génie de la nation anglaise, c’est que, dans la question de l’éducation, on n’a su tirer aucun parti de l’armée anglo-indienne, une force de 300,000 hommes que, pendant neuf mois de l’année, les ardeurs du climat réduisent à la plus complète oisiveté. En organisant dans l’Inde des écoles régimentaires, ne serait-il pas possible de couvrir le pays, en peu de temps et à peu de frais, d’un ré seau d’écoles primaires dirigées par d’anciens soldats qui auraient puisé au régiment non-seulement quelques connaissances, mais encore des principes d’honneur et de dignité personnelle que la vie des camps et l’habitude de la discipline militaire doivent donner même à un Indien ?

Nous terminerons ici ce tableau de l’enseignement public dans l’Inde anglaise. Il ne s’agissait point pour nous, on l’aura compris, de formuler un système d’éducation à l’usage des domaines de l’honorable compagnie ; nous avons seulement voulu rapidement indiquer un des plus curieux aspects de cette société bizarre, qui, par la force des habitudes et des préjugés, a résisté opiniâtrement et victorieusement jusqu’à ce jour à toutes les tentatives faites pour propager parmi elle les lumières de la foi chrétienne et de la science moderne.


II

De l’éducation, qui prévient les crimes, passons à la justice, qui est appelée à les réprimer. Ici encore, l’Angleterre rencontre, dans l’accomplissement de sa mission civilisatrice, de graves obstacles qu’elle s’applique courageusement à surmonter. Le gouvernement de la compagnie des Indes s’est trouvé en présence de crimes extraordinaires que la civilisation a effacés en Europe, depuis des siècles, des tristes annales de la perversité humaine. Pour procéder avec ordre dans cette étude, où l’horrible le dispute au bizarre, il faut parler d’abord d’un crime particulier aux âges primitifs, les sacrifices humains[1].

  1. Les sacrifices humains, l’offrande la plus agréable, suivant le dogme hindou, que l’homme puisse offrir à la Divinité, et qui lui donnent des droits à sa bienveillance spéciale, étaient universellement pratiqués dans l’Inde avant la conquête musulmane. Les noms de Hurdwar et du temple de Jaggernauth seront toujours écrits en sanglans caractères dans l’histoire du fanatisme humain, on peut même dire que ces abominables cérémonies résistèrent la l’influence des mahométans, car vers les premières années du siècle, sous la loi des Mahrattes, des sacrifices humains étaient annuellement offerts dans la ville de Saugor. L’administration anglaise, malgré ses efforts, n’a pas triomphé complètement de ces coutumes sanguinaires. Ainsi, dans ces derniers temps, les tribunaux de l’Inde eurent à juger, entre autres criminels égarés par le fanatisme religieux, un brahme qui, après avoir immolé une chèvre à la déesse Kali, égorgea sans aucun motif, avec le couteau fumant encore du sang de l’animal, deux hommes qui l’avaient assisté dans ce sacrifice. Un natif de basse caste, du district de Rungpore, fut aussi condamné à mort, il l’a, peu de temps, pour avoir assassiné un enfant en bas âge, et reconnut avoir été poussé à ce crime par le désir d’obtenir de la Divinité la guérison de son fils, alors dangereusement malade. C’est surtout néanmoins parmi les tribus sauvages dont les territoires se trouvent enclavés dans le domaine anglo-indien que l’abominable pratique des sacrifices humains conserve toute sa puissance.