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seule, sans appui, incapable de dire un seul mot des langues du pays ? Une, deux pu trois fois par jour, dans un voyage qui dure souvent des mois, elle voit se renouveler la douzaine de sauvages qui portent sur leurs épaules son palanquin et son bagage, et il est cependant sans exemple qu’une femme blanche ait été insultée d’un mot, d’un geste ! »

Ces questions, pour fendre hommage à la vérité, je fus obligé de les résoudre toutes à l’honneur des hommes de l’Inde et de convenir que j’avais poussé un peu loin la fougue de mes invectives. Et en effet comment, avec les idées et les habitudes de l’Europe, ces idées et ces habitudes qui malgré nous exercent une influence toute puissante sur nos jugemens, parler d’une manière impartiale et vraie de cette société où les siècles ont amoncelé tant d’élémens absurdes et bizarres, de ces hommes dont les mœurs et les instincts diffèrent autant des nôtres que leur peau cuivrée diffère de notre peau blanche ? De plus, entre l’Européen et l’homme de l’Inde les relations sont sans intimité, toutes superficielles ; toujours et partout le natif échappe à l’observation, à l’analyse ; de l’homme, vous ne voyez que l’écorce ! Vous ignorez même si des domestiques blanchis à votre service sont bons pères, bons époux, accessibles aux devoirs de la famille, aux joies de l’amitié, car la vie intime de la race asiatique est ainsi faite, qu’un voile impénétrable la protège contre la curiosité de l’étranger, et si par aventure il en saisit quelques détails, ses observations tombent sur quelque crime plus ou moins horrible que la vindicte des lois a mis en lumière. En de pareilles conditions d’incompétence, prononcer un jugement absolu sur la moralité des populations indiennes serait se mettre dans la position d’un voyageur qui, formulant, d’après la Gazette des Tribunaux, son opinion sur la société française, conclurait hardiment que l’homme y naît voleur et assassin, la femme empoisonneuse et adultère !

Loin donc de terminer cette étude par des paroles de malédiction et de colère contre les pauvres populations de l’Inde, nous ferons la part du déplorable héritage de misère, de tyrannie, de corruption que les siècles ont transmis aux races indiennes. Nous appellerons de tous nos vœux le jour où les lumières du christianisme, l’action bienfaisante d’un gouvernement fort et éclairé, auront élevé le bien-être et la moralité de l’Hindou au niveau du bien-être et de la moralité de l’Européen.


Major Fridolin.