Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

AÏSHA ROSA


SOUVENIRS DES RIVES DU BOSPHORE.






I

— Parlez-moi des choses éternelles, disait un soir, il y a quelque temps, à un homme que j’ai peu aimé et beaucoup connu, une femme dans cet état de cœur et à ce moment de la vie où l’on est suspendu entre l’amour divin et l’autre amour, comme ces oiseaux qui suivent les navires sont suspendus entre la mer et le ciel. De temps à autre, vous les voyez (je parle des oiseaux) toucher de l’aile ces flots sombres dont ils semblent ne s’éloigner qu’avec douleur, puis la région céleste les attire, et ils disparaissent dans le bleu, puis ils descendent encore. C’est ainsi qu’elle faisait, et qu’elle fera peut-être longtemps en dépit d’elle. Quant à lui, jugez de son existence et de ses pensées par sa réponse.

— Il y a des choses éternelles, lui dit-il, que je n’aurai peut-être pas le formidable bonheur de connaître, quoique j’aie cru les entrevoir par instant. Si elles m’étaient jamais révélées, je n’en parlerais pas, avec vous surtout, en ce lieu et à cette heure ; il n’est point de lumière divine que ne me cachât votre corps, tout frêle et mince qu’il est. Mais je connais et n’ai point cessé d’admirer des choses en même temps impérissables et fugitives comme ce charme dont vous me remplissez, et que, bien longtemps après nous deux, des femmes telles que vous verseront à des hommes tels que moi. Parlons donc de ces choses-là. Encore une histoire amoureuse.

Il y avait sur les rives du Bosphore une femme qui s’appelait Aïsha Rosa. Elle était née en Asie, de la ce nom d’Aïsha. Le hasard