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du repos. Ils mettent un intervalle de huit jours entre un voyage en Égypte et un voyage en Suède, un intervalle de deux mois entre un voyage au pôle arctique et un voyage au pôle antarctique : le temps rigoureusement nécessaire pour réparer sa garde-robe, embrasser ses parens, serrer la main à ses amis et porter quelques toasts à la grandeur de l’Angleterre.

Prenons pour exemple quelques-uns des plus récens voyageurs anglais. Ils semblent doués du don d’ubiquité. Le lieutenant Burton, à peine revenu de son voyage aux villes saintes de La Mecque et de Médine, s’empresse d’aller rendre visite aux royaumes noirs de l’Afrique centrale. Le capitaine Lawrence Oliphant, après avoir chassé dans l’Inde anglaise, se fait transporter dans la Mer-Noire, parcourt la Grimée, puis, sans se reposer, s’embarque pour l’Amérique, traverse les déserts du Far-West, et va dormir dans les hôtels encore peu comfortables de Saint-Paul, une ville embryonnaire du Minnesota, destinée à un grand avenir. M. Hill, après son séjour au milieu des neiges de Sibérie[1], ne songe point à venir se reposer dans la terre natale, et se fait conduire aux îles Sandwich. Un fait non moins remarquable que l’ardeur et la rapidité avec lesquelles les Anglais exécutent leurs voyages, c’est le but excentrique qu’ils donnent à leurs excursions, le choix bizarre des pays qu’ils parcourent. Un voyage à Médine, au Soudan, dans le Far-West, aux îles Sandwich ! Nous voilà bien loin du classique voyage en Italie, et du romantique voyage en Espagne, qui sont les colonnes d’Hercule de tout voyageur français bien élevé. Nous voilà plus loin encore de ces pérégrinations du beau monde russe aux villes de bains et de plaisirs, de ces séjours prolongés dans les joyeuses capitales, Vienne, Paris ou Florence. Les Américains eux-mêmes, grands voyageurs déjà, n’ont pas la curiosité originale des Anglais. Tout en disant beaucoup de mal de l’ancien monde, ils le visitent beaucoup ; ils vont plus volontiers à Paris et à Naples que sur les bords du fleuve des Amazones et dans les forêts de l’Amérique du Sud.

Cette ardeur voyageuse des Anglais est presque une vertu ; elle est la preuve d’une très noble curiosité d’esprit. Je lisais dernièrement dans je ne sais quel récit d’un voyageur anglais, peut-être dans le livre de M. Hill lui-même, qu’il avait toujours considéré comme un devoir moral de l’homme de visiter avant sa mort la planète sur laquelle il habite. L’accomplissement de ce devoir n’est malheureusement qu’à la portée du petit nombre ; mais on peut dire à la louange des Anglais que ce petit nombre s’en acquitte consciencieusement. Beaucoup

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août et du 1er septembre 1835, les curieuses études de M. Saint-René Taillandier sur la Sibérie, d’après les voyageurs allemands et anglais.