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rapporté des échantillons ou des dessins. Ce peuple d’explorateurs se trouve avoir fait au XIXe siècle pour le monde physique ce que l’illustre lord Bacon a fait au XVIe siècle pour le monde moral. De même que lord Bacon traça la géographie morale de l’esprit, indiquant avec sa fine précision les récifs, les écueils, les îles salubres, les détroits dangereux, les Anglais modernes ont décrit le plan de la création, et en ont retracé le dessin infiniment compliqué. Pas plus que lord Bacon, ils n’ont fait œuvre spéculative ; pas plus que lui, ils n’ont cherché l’unité et le principe de cette variété de faits qu’ils décrivaient. Explique qui voudra la raison d’être du genre humain, le rôle de notre planète, le principe de la création, la fin de cette innombrable quantité de faits tous divers, et qui semblent n’avoir entre eux qu’une lointaine analogie : ils ne s’en chargeront pas. En revanche tous les matériaux pour une telle œuvre ont été rassemblés un à un, fragment par fragment, grâce à leur patience, à leur curiosité, à leur amour pratique des faits. Là ne se sont pas bornés leurs services : de même qu’ils rapportaient en Europe des échantillons de toutes les civilisations et de toutes les barbaries, ils se présentaient eux-mêmes, partout où ils passaient, comme de vivans échantillons d’une civilisation supérieure. Par eux, l’homme caucasique a pris possession de la terre entière, possession en un double sens, matériellement et moralement. Ils ont enfoncé dans le sol leur pioche et leur charrue ; ils ont forcé les imaginations des populations lointaines à reconnaître leur supériorité. Devant eux, le désert a reculé ; devant eux, le vieil Orient s’est troublé et a perdu confiance en lui-même. Rapaces ou non, avides et égoïstes ou non, ils ont été partout les pionniers de la civilisation, ils ont établi en fait la supériorité de notre race sur toutes les races de la terre.

Cette influence de l’Angleterre sur notre globe est d’autant plus puissante, qu’elle s’exerce d’une manière active, concrète, et par le moyen des individus. Ce n’est pas par ouï-dire que les habitans des pays lointains connaissent la puissance anglaise ; ils savent à quoi s’en tenir lorsqu’ils voient fonctionner devant eux des machines anglaises et qu’ils ont éprouvé la résistance des solides poings anglais. Ainsi partout l’Angleterre est représentée non-seulement d’une manière officielle, mais d’une manière réelle, par sa population. Le grand secret de la force extérieure de l’Angleterre ne réside pas dans son nom, mais dans ses citoyens : contraste parfait avec la France, dont l’influence tient non aux citoyens, mais au gouvernement. Il ne faut point médire de l’influence de la France au dehors ; elle est très grande, et elle est un obstacle à bien des injustices et à bien des arbitraires. Seulement cette influence est pour ainsi dire abstraite et métaphysique. On nous connaît au moins de nom, parce que nous signons des traités, quoiqu’ils restent sans application la