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le fils d’un affranchi pouvait aborder le descendant des Lucumons d’Étrurie, et qui bientôt se sentait à l’aise auprès du troisième personnage de l’empire. Après avoir présenté Horace à Auguste, non-seulement Mécène invitait le poète à souper, mais, ce qui est plus aimable, il allait souper chez lui. Bien des riches ont porté ce nom de Mécène pour avoir encouragé les hommes de lettres tout différemment, c’est-à-dire les payant pour leur platitude et se remboursant en impertinence, les invitant à souper au bout de leur table somptueuse, au lieu de faire comme Mécène, qui allait dans la villa modeste d’Horace boire son petit vin de la Sabine. Le vrai Mécène était simple et cordial, quoiqu’il fût riche et en faveur. Y en a-t-il eu beaucoup d’autres connue celui-là[1]?

Ces jardins de Mécène, que consacre la sépulture d’Horace, étaient sur l’Esquilin, alors aussi bien qu’aujourd’hui presque entièrement couvert de jardins. Ils avaient remplacé le cimetière des pauvres, où, comme dans les campi santi de nos jours, il n’y avait pour les cadavres des indigens que des fosses communes[2] appelées puits (puticuli). Mécène fit disparaître ce lieu infect, où Horace avait mis la scène des affreux enchantemens de Canidie, et le remplaça par ses jardins magnifiques. L’assainissement du quartier y gagna, et Horace put appeler les Esquilles salubres.

La maison de Mécène devait être considérable. En sa qualité de descendant des Étrusques, qui avaient, dit-on, inventé les tours, Mécène en avait fait construire une très élevée; en haut était un belvédère d’où il considérait, dit Horace, la fumée et l’agitation de l’opulente Rome; c’est probablement de là que Néron prit plaisir à la voir brûler[3]. En supposant que les jardins de Mécène s’étendissent jusqu’au pied de l’Esquilin, et vinssent, ce qui est assez naturel, rejoindre le quartier élégant des Carines, on peut admettre qu’ils atteignaient le lieu où depuis Titus bâtit ses thermes sur une partie de la Maison-Dorée de Néron. Au-dessous de ces deux étages de constructions impériales, on voit des traces d’une construction plus ancienne attribuée à Mécène : c’est un reste de pavé en mosaïque d’une élégante simplicité, qui par là conviendrait très bien à

  1. Il y en a un de notre temps, sinon pour les poètes, qui n’en ont plus guère besoin, du moins pour les jeunes gens voués à l’érudition : c’est M. Le duc de Luynes, que je n’ai pas l’honneur de connaître personnellement, mais à qui j’aime, dans l’intérêt du bon exemple, à rendre cet hommage public et désintéressé que personne ne démentira.
  2. Le mot est d’Horace :

    Hoc miseræ plebi stabat commune sepulcrum.

  3. Quant à l’édifice qui, à Tivoli, porte le nom de maison de Mécène, et dans lequel on a fait servir aux travaux d’une usine une portion des cascatelles chantées par Horace, il est reconnu aujourd’hui que c’était un temple, vraisemblablement un temple d’Hercule.