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une époque encore voisine de la république et au goût exquis de Mécène. Horace a peut-être soupe dans cette chambre, ornée d’une mosaïque aussi finement travaillée que ses vers[1].

Il est un poète de ce temps dont le nom ne rappelle pas la protection accordée aux lettres par Auguste, car Auguste fut son persécuteur et son bourreau; il le fit mourir consumé de la fièvre lente de l’exil, le reléguant, lui, l’aimable et brillant Ovide, à l’extrémité du monde romain. Ce n’est pas à Rome, c’est vers la Crimée, ce pays qui a été le tombeau de tant de milliers de Français, qu’il faudrait aller chercher le tombeau d’Ovide, et que les descendans des barbares au milieu desquels il mourut ont nommé, en mémoire de lui, une ville russe Ovidiopol. Il y a bien près de Borne le tombeau des Nasons, en un lieu d’où la campagne romaine se présente dans toute sa sauvage et sublime beauté; mais la cendre du plus illustre des Nasons est absente de leur sépulture. Des peintures ornaient ce sépulcre; on a cru y retrouver Ovide dans un poète conduit aux champs élyséens par Mercure, et reconnaître des sujets empruntés à ses Métamorphoses. Ce serait un pieux et timide hommage rendu dans l’ombre du tombeau par une noble famille au grand homme malheureux qui fut sa gloire.

Quelle a été la cause du malheur d’Ovide? C’est encore un mystère. On voit par les Tristes que deux crimes lui étaient reprochés. L’une des accusations était ridicule : c’était d’avoir écrit l’Art d’aimer, d’avoir, comme il le dit spirituellement, enseigné ce que tout le monde sait. Louis XV mettait quelquefois les écrivains à la Bastille, mais il n’a pas imaginé d’envoyer Gentil-Bernard au Canada. D’ailleurs presque tous les poètes contemporains d’Ovide, notamment Horace, Virgile dans ses églogues, avaient écrit des vers plus répréhensibles que ceux d’Ovide, car ce dernier ne chanta que des passions qui peuvent se comprendre. Les vers d’Auguste sur Fulvie sont d’une grossièreté qu’Ovide ne se permit jamais. Le poète banni parle d’un autre tort qu’il confesse, et qui seul a pu être la cause véritable de son exil. Il y revient plusieurs fois, toujours en termes obscurs, s’accusant d’avoir vu ce qu’il ne devait pas voir :

Cur aliquid vidi? cur noxia lumina feci?


« Pourquoi ai-je vu quelque chose? pourquoi mes yeux furent-ils

  1. On pourrait objecter à l’extension que je donne aux jardins de Mécène que ces jardins devaient être en dehors de la ville, puisqu’ils remplaçaient un lieu consacré à des sépultures, et qui par conséquent ne pouvait être compris dans l’enceinte des murs de Servius Tullius; mais nous savons par Denys d’Halicarnasse, et les grands débris du mur de Servius trouvés récemment sur l’Aventin ont démontré qu’au commencement de l’empire on ne tenait plus aucun compte de la vieille muraille des rois, qu’elle était cachée et comme perdue au sein des habitations particulières.