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communes les agens d’un candidat, et nous ne nous sommes mis à acheter les votes que parce qu’ils avaient commencé par s’en faire vendre. » C’était là l’exemple qui se renouvelait le plus fréquemment : il fait comprendre comment la corruption ou la violence, tout en déshonorant les mœurs politiques de la nation, ne contrariait pas cependant le jeu de la liberté et ne tournait à l’oppression d’aucun parti.

Les mesures répressives, tour à tour renouvelées par les lois, étaient restées impuissantes. Ce fut seulement l’acte de réforme qui, en réduisant la durée du vote et en répartissant les électeurs pour la même élection en plusieurs districts, commença à prévenir les tentatives de corruption et de violence, que la réunion prolongée des électeurs et leur lointain déplacement rendaient inévitables. En même temps, par l’appel des nouvelles classes auxquelles le pouvoir politique était étendu, l’acte de réforme vint donner au pays la garantie sans laquelle toutes les autres précautions étaient illusoires, la garantie d’un corps d’électeurs à la fois moins incomplet et moins vénal, moins insuffisant pour le nombre et mieux choisi pour la qualité.

Toutefois l’acte de réforme n’était pas une de ces panacées qui peuvent tenir lieu d’un long traitement : il ne détruisait pas tous les maux anciens, et il en créait de nouveaux. Ainsi, en faisant entrer dans les rangs des électeurs les classes moyennes, il n’en faisait pas sortir les classes inférieures, dans lesquelles se recrutaient les électeurs les plus corrompus, ceux qui n’avaient d’autre droit que la franchise municipale, les freemen, véritables bandes de condottieri qui, étrangers à toute éducation politique, mettaient souvent leurs votes aux enchères, comme une propriété, et se vendaient au plus offrant. De plus, l’acte de réforme, malgré les salutaires précautions qu’il avait prises contre les violences brutales auxquelles les électeurs étaient exposés, favorisait et encourageait un nouveau genre d’oppression, l’intimidation. En appelant dans le corps électoral les marchands des villes et les fermiers des campagnes, surtout en étendant le droit de suffrage aux fermiers sans bail[1], il mettait une classe d’électeurs dans la dépendance des grands propriétaires, et créait une sorte de vasselage politique qui ne laissait de choix qu’entre l’obéissance servile ou un acte de rébellion promptement suivi d’une signification de congé ou de l’abandon de la clientèle, en guise de punition. Sans doute les fermiers étaient presque toujours en communauté d’opinions avec leurs propriétaires, et la plupart sont disposés, dit-on, à donner leurs votes aussi facilement

  1. Le nombre des fermiers sans bail qui sont électeurs monte environ à 100,000.