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que la belle duchesse de Devonshire acheta en public, pour le candidat de son choix (c’était Fox), le vote d’un marchand de chandelles, en lui laissant prendre un baiser sur ses lèvres. Les régals d’électeurs (treating) complétaient les pratiques de corruption, et en multipliaient les abus. Telle était la source intarissable de dépenses qui contribuaient à faire monter le prix de certaines élections à des sommes ruineuses qui se comptaient par 100,000 fr. et atteignaient quelquefois jusqu’à des millions[1]. Sans doute on pouvait plaider les circonstances atténuantes, et il aurait été injuste de ne chercher dans l’ancien système que la part du mal. Il ne faudrait pas s’imaginer que toutes les élections ne pussent se passer de pareils scandales. C’était seulement dans les élections les plus disputées entre des compétiteurs rivaux que se renouvelaient les exemples de l’oppression ou de la corruption des électeurs. En outre beaucoup d’abus n’étaient condamnables que par l’apparence. La distribution d’argent ou de cadeaux n’était même souvent qu’un moyen d’indemnité représentant la perte d’un jour de travail, et comme l’acquittement d’une dette dont les candidats devaient compte à leurs électeurs, auxquels des paroles de remerciement ou des sourires de reconnaissance n’auraient pas toujours suffi.

Toutes ces pratiques se liaient d’ailleurs au système de l’intervention active des comités, au rapprochement permanent entre le candidat et les électeurs, à ce mouvement de vie surabondante qui faisait du lieu de l’élection un champ de bataille, et donnait à chaque candidat comme un corps d’armée qu’il fallait grossir de soldats mercenaires. Enfin cette contrainte et ce trafic des votes, qui déshonoraient et pervertissaient la liberté, ne la mettaient pas en péril. C’étaient là des moyens peu avouables sans doute, mais qui ne favorisaient pas les uns au détriment des autres ; ils n’étaient pas destinés à assurer la prépondérance d’un gouvernement tout-puissant sur une opposition désarmée. Ils restaient hors de la portée du pouvoir, qui n’avait pas la liberté de s’en servir dans un pays où la moindre manœuvre électorale met tout fonctionnaire sous le coup d’une accusation criminelle que chaque citoyen a le droit de poursuivre ; ils étaient seulement à la libre disposition des deux grands partis constitutionnels, qui se disputaient toujours l’avantage dans les mômes conditions d’influence, de richesse, de crédit, et pouvaient ainsi se combattre avec de mauvaises armes sans doute, mais avec des armes égales. « Nous avons accordé trente-six heures à nos adversaires, disaient devant un des comités de la chambre des

  1. D’après les calculs de lord John Russell, l’élection du West-Riding, un des districts du comté de York, avait coûté 250,000 liv. en 1807, 170,000 liv. en 1826.